Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/563

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naturellement, les successions ou les aliénations les auraient réduites en petits lots. Mais la loi de primogéniture s’opposa à ce qu’elles fussent partagées par la voie des successions ; l’introduction des substitutions[1] empêcha qu’elles ne fussent morcelées par des aliénations.

Lorsqu’on ne voit dans les propriétés territoriales qu’un moyen de subsistance et de jouissance, comme dans les propriétés mobilières, alors la loi naturelle de succession les partage, de même que celles-ci, entre tous les enfants d’une même famille, entre tous ceux de qui la subsistance et le bien-être étaient censés également chers au père de famille. Aussi cette loi naturelle des successions eut-elle lieu chez les Romains, qui ne firent pas plus de distinction, pour la succession des terres, entre les aînés et les puînés, entre les mâles et les femelles, que nous n’en faisons pour les partages de biens meubles. Mais quand on regarda les terres, non pas comme de simples moyens de subsistance, mais comme des moyens de puissance et de protection, on trouva plus convenable qu’elles descendissent sans partage à un seul. Dans ces temps de désordre, chaque grand propriétaire était une espèce de petit prince ; ses vassaux étaient ses sujets ; il était leur juge et à quelques égards leur législateur pendant la paix, et leur chef pendant la guerre. Il faisait la guerre quand il le jugeait à propos, souvent contre ses voisins, et quelquefois contre son souverain.

La sûreté d’une terre, la protection que le maître pouvait donner à ceux qui y demeuraient, dépendaient de son étendue. La diviser, c’eût été la détruire et l’exposer à être de toutes parts ravagée et engloutie par les incursions des voisins. La loi de primogéniture s’établit ainsi dans la succession des terres, non pas au premier moment, mais dans la suite des temps, par la même raison qui a fait qu’elle s’est généralement établie dans les monarchies pour la succession au trône, quoiqu’elle n’ait pas toujours eu lieu au commencement de leur institution. Pour que la puissance et, par conséquent, la sûreté de la monarchie ne soient pas affaiblies par un partage, il faut qu’elle descende tout entière sur la tête des enfants. Pour savoir auquel d’entre eux on accorderait une préférence de si haute importance, il a fallu se déterminer

  1. Ces sortes de dispositions, dont l’objet est d’établir un ordre de succession différent de l’ordre ordinaire, se nomment en anglais entail, mais en français elles se nomment substitutions, quoique très-différentes de ce que la loi civile appelle de ce nom, comme on le fera observer plus loin.