Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/596

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C’est une erreur de croire que ces juridictions territoriales prirent leur origine dans les lois féodales. Non-seulement la justice la plus étendue, tant au civil qu’au criminel, mais même le pouvoir de lever des troupes, de battre monnaie, et même celui de faire des espèces de lois pour le gouvernement de leurs vassaux, furent autant de droits possédés allodialement par les grands propriétaires de terre plusieurs siècles avant que le nom même des lois féodales fût connu en Europe. L’autorité et la juridiction des seigneurs saxons en Angleterre paraissent avoir été tout aussi étendues avant la conquête que le furent après cette époque celles d’aucun seigneur normand. Or, ce n’est que depuis la conquête, à ce qu’on croit, que les lois féodales devinrent le droit commun de l’Angleterre. C’est un fait hors de doute que, longtemps avant l’introduction des lois féodales en France, les grands seigneurs y possédaient allodialement l’autorité et la juridiction la plus étendue. Cette autorité et cette multitude de juridictions avaient toutes leur source dans l’état où étaient les propriétés, et dans les mœurs et usages que nous venons de décrire. Sans remonter aux époques les plus reculées des monarchies de France et d’Angleterre, nous pourrons trouver dans des temps plus récents que de semblables effets ont toujours été le résultat nécessaire de cette même cause. Il n’y a pas trente ans qu’un gentilhomme du Lochabar, en Écosse, M. Cameron de Lochiel, sans aucune espèce de titre légal quelconque, n’étant pas ce qu’on appelait alors lord de royauté[1], ni même tenant en chef, mais vassal du duc d’Argyle, et moins qu’un simple juge de paix, avait pris néanmoins l’usage d’exercer sur ses gens la juridiction criminelle la plus absolue. On prétend qu’il exerçait ce pouvoir avec la plus stricte équité, quoique sans nulles formalités de justice, et il est assez vraisemblable que l’état de cette partie de la province, à cette époque, le mit dans la nécessité de s’emparer de cette autorité pour maintenir la tranquillité publique. Ce gentilhomme, dont le revenu n’alla jamais au-delà de 500 livres par an, entraîna avec lui huit cents hommes de sa suite dans la rébellion de 1745.

  1. Lord of Regality. On nommait ainsi des seigneurs qui avaient la prétention de ne pas reconnaître la juridiction royale, et d’exercer de leur chef divers droits régaliens. On peut consulter, sur la nature et l’origine de cette usurpation, la note 23e de l’Introduction à l’Histoire de Charles V, par Robertson.