Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/100

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gne un goût général et passager pour l’ivrognerie dans toutes les classes moyennes et inférieures, lequel serait vraisemblablement bientôt suivi d’une disposition permanente et presque universelle à la sobriété. Actuellement, l’ivrognerie n’est nullement le défaut des gens du bon ton ou de ceux qui peuvent aisément faire la dépense des boissons les plus chères ; un gentleman ivre d’ale est une chose qui ne se voit presque jamais. D’ailleurs, les restrictions mises en Angleterre au commerce du vin ont eu bien moins pour objet, selon toute apparence, de détourner les gens d’aller, pour ainsi dire, au cabaret, que de les empêcher d’aller là où ils pourraient se procurer le vin le meilleur et à meilleur compte ; ces règlements favorisent le commerce des vins de Portugal et entravent celui des vins de France. Il est vrai qu’on répond à cela que les Portugais sont de meilleurs chalands que les Français pour nos manufactures, et qu’il faut de préférence encourager leur commerce ; puisqu’ils nous donnent leur pratique, dit-on, il est bien juste de leur donner la nôtre. Ainsi, c’est la routine grossière et mesquine de la plus basse classe des artisans qu’on érige en maximes politiques pour diriger la conduite d’une grande monarchie ; car il n’y a que les artisans de la dernière classe qui se fassent une règle d’employer de préférence leurs pratiques. Un bon fabricant achète ses marchandises sans avoir égard à de petites vues d’intérêt de cette sorte ; il les prend toujours où il les trouve les meilleures et au meilleur compte.

C’est pourtant avec de pareilles maximes qu’on a accoutumé les peuples à croire que leur intérêt consistait à ruiner tous leurs voisins ; chaque nation en est venue à jeter un œil d’envie sur la prospérité de toutes les nations avec lesquelles elle commerce, et à regarder tout ce qu’elles gagnent comme une perte pour elle. Le commerce, qui naturellement devait être, pour les nations comme pour les individus, un lien de concorde et d’amitié, est devenu la source la plus féconde des haines et des querelles. Pendant ce siècle et le précédent, l’ambition capricieuse des rois et des ministres n’a pas été plus fatale au repos de l’Europe, que la sotte jalousie des marchands et des manufacturiers. L’humeur injuste et violente de ceux qui gouvernent les hommes est un mal d’ancienne date, pour lequel j’ai bien peur que la nature des choses humaines ne comporte pas de remède ; mais quant à cet esprit de monopole, à cette rapacité basse et envieuse des marchands et des manufacturiers, qui ne sont, ni les uns ni les autres, chargés de gouverner les hommes, et qui ne sont nullement faits pour en être char-