Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/105

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Mais ces circonstances mêmes, qui auraient rendu si avantageux un commerce libre et ouvert entre ces deux peuples, sont précisément celles qui ont donné naissance aux principales entraves qui l’anéantissent. Parce qu’ils sont voisins, ils sont nécessairement ennemis, et sous ce rapport la richesse et la puissance de l’un est d’autant plus redoutable aux yeux de l’autre ; ce qui devrait servir à multiplier les avantages d’une bonne intelligence entre les deux nations ne sert qu’à enflammer la violence de leur animosité mutuelle. Chacune d’elles est riche et industrieuse : les marchands et les manufacturiers de l’une craignent la concurrence de l’activité et de l’habileté de ceux de l’autre. La jalousie mercantile est excitée par l’animosité nationale, et ces deux passions s’enflamment réciproquement l’une par l’autre. Des deux côtés, les marchands de ces deux royaumes, avec cette assurance que des hommes passionnés et mus par l’intérêt mettent à soutenir leurs fausses assertions, ont annoncé la ruine infaillible de leur pays, comme conséquence nécessaire de cette balance défavorable que la liberté des transactions avec le pays voisin ne manquerait pas, suivant eux, de leur donner.

Il n’y a pas de pays commerçant en Europe dont la ruine prochaine n’ait été souvent prédite par les prétendus docteurs de ce système, d’après l’état défavorable de la balance du commerce. Cependant, malgré toutes les inquiétudes qu’ils ont inspirées sur ce point, malgré tous les vains efforts de presque toutes les nations commerçantes pour tourner cette balance en leur faveur et contre leurs voisins, il ne paraît pas qu’aucune nation de l’Europe ait été le moins du monde appauvrie par ce moyen. Au contraire, à mesure qu’un pays, qu’une ville a ouvert ses ports aux autres nations, au lieu de trouver sa ruine dans cette liberté de commerce, comme on devait le craindre d’après les principes du système, elle y a trouvé une source de richesses ; quoique pourtant, s’il y a en Europe quelques villes qui, à certains égards, méritent le nom de ports libres, il n’y a pas de pays auquel on puisse donner absolument ce nom. La Hollande peut-être est celui qui est le plus près d’en avoir le caractère, quoiqu’elle en soit encore extrêmement loin, et il est reconnu que c’est du commerce étranger que la Hollande tire non-seulement toute sa richesse, mais même une grande partie de ce qui lui est indispensable pour subsister.

À la vérité, il y a une autre balance dont j’ai déjà parlé[1], qui est

  1. Liv. II, chap. iii.