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autres, le pays ou du moins les marchands et les manufacturiers du pays dont le commerce est ainsi favorisé doivent tirer de grands avantages de ce traité. Ces marchands et manufacturiers jouissent d’une sorte de monopole dans le pays qui les traite avec tant de faveur. Ce pays devient un marché à la fois plus étendu et plus avantageux pour leurs marchandises ; plus étendu, parce que les marchandises des autres nations étant exclues ou assujetties à des droits plus lourds, il absorbe une plus grande quantité de celles qu’ils y portent ; plus avantageux, parce que les marchands du pays favorisé, jouissant dans ce marché d’une espèce de monopole, y vendront souvent leurs marchandises à un prix plus élevé que s’ils étaient exposés à la libre concurrence des autres nations.

Si cependant ces traités peuvent être avantageux aux marchands et aux manufacturiers du pays favorisé, ils sont nécessairement désavantageux aux habitants du pays qui accorde cette faveur[1]. C’est un monopole qui

  1. À très-peu d’exceptions près, les traités de commerce conclus jusqu’à présent n’ont jamais eu pour base le principe de l’équité et de la réciprocité. La plupart des négociations commerciales n’ont été entreprises que parce que chacune des parties contractantes avait cru pouvoir remporter un avantage au préjudice de l’autre. Il est superflu d’ajouter que ces prétendus avantages étaient seulement imaginaires, et que quelquefois ils devenaient même préjudiciables aux intérêts auxquels ils semblaient devoir profiter. Quand un pays obtient, par un traité ou d’une autre manière, le privilège exclusif de pourvoir le marché d’un autre pays de certains produits qu’auparavant il n’avait pas l’habitude de lui fournir, il sera forcément obligé, pour rendre ce commerce possible, d’accorder sur son propre marché un monopole semblable. Ainsi, dans le fameux traité de commerce conclu en 1703 par M. Methuen, entre la Grande-Bretagne et le Portugal, le privilège exclusif de pourvoir le marché portugais de toute espèce d’étoffes de laine fut accordé à l’Angleterre ; mais les Portugais n’auraient pas pu donner suite à cette stipulation, et ils n’auraient pas eu de valeurs à nous donner en échange de nos laines, si nous ne leur avions pas accordé le monopole de leurs vins sur le marché anglais. Ce traité avait par conséquent un double inconvénient. Il était préjudiciable aux Portugais, en imposant à leur marché des restrictions pour les laines, et en attirant une très-grande partie de leurs capitaux dans la production des vins ; et il lésait également les intérêts britanniques, en obligeant notre gouvernement à frapper de droits différentiels très-considérables les vins français et autres. Il nous força par conséquent, d’un côté, à payer une boisson, relativement inférieure, à un prix très-élevé ; tandis que, d’un autre côté, il amena les Français et les Espagnols à user de représailles en excluant de leurs marchés plusieurs de nos articles les plus importants.

    Le traité de commerce conclu entre la France et l’Angleterre, en 1786, fut un des rares et mémorables exemples qu’offrirent alors ces deux grandes nations, en consentant à établir entre elles des relations commerciales sur un pied de parfaite égalité, et sans stipulation d’avantages particuliers. Il est incontestable qu’en agissant de cette manière elles avaient une intelligence parfaite de leurs véritables intérêts.

    La Grande-Bretagne et la France sont près l’une de l’autre ; chacun de ces deux pays possède ce dont l’autre manque. Si celle-ci abonde en produits de tout genre que lui fournit un sol fertile et un climat heureux, celle-là est riche des produits de ses manufactures supérieures et de son industrie commerciale. S’il n’y avait point de restrictions mises sur le commerce entre ces deux pays, ils formeraient mutuellement d’excellents marchés pour leurs produits respectifs. Mais leurs relations commerciales ont été tellement paralysées par leurs jalousies mutuelles, qu’aujourd’hui le commerce avec la Chine se trouve être plus important et avantageux que celui que nous faisons avec nos plus proches et plus riches voisins. L’objet du traité dont il est ici question fut d’établir un système plus amical, de modérer les rigueurs commerciales ; et, en mettant en évidence l’extrême avantage de ces relations, d’enseigner aux deux parties à oublier les anciennes haines, et à s’intéresser à leur bien-être commun.

    Il n’est pas nécessaire d’indiquer dans leurs détails les stipulations de ce traité. La guerre qui éclata malheureusement en 1793 interrompit complètement des relations qui avaient à peine commencé ; et depuis le rétablissement de la paix, aucun traité nouveau n’a eu lieu. Mais les maximes qui ont présidé au traité de 1786 pourraient aussi bien maintenant qu’à cette époque trouver une application heureuse ; et les hommes d’État qui trouveraient le moyen de les mettre en pratique une seconde fois, en abolissant et en diminuant les prohibitions et les droits dont le commerce entre les deux pays est frappé, travailleraient certainement à la réalisation du bien-être commun.
    Mac Culloch.