Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/18

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ment avec celui du pays auquel la balance était due. Qu’en effet, si le change entre l’Angleterre et la Hollande, par exemple, était de 5 pour 100 contre l’Angleterre, il faudrait alors cent cinq onces d’argent en Angleterre pour acheter une lettre de change de cent onces payables en Hollande ; que, par conséquent, cent cinq onces d’argent en Angleterre ne vaudraient que cent onces d’argent en Hollande, et ne pourraient acheter qu’une quantité proportionnée de marchandises hollandaises ; tandis qu’au contraire cent onces d’argent en Hollande vaudraient cent cinq onces en Angleterre, et pourraient acheter une quantité proportionnée de marchandises anglaises ; que les marchandises anglaises vendues à la Hollande en seraient vendues d’autant meilleur marché ; et les marchandises hollandaises vendues à l’Angleterre le seraient d’autant plus cher, à raison de la différence du change entre les deux nations ; que par ce moyen, d’une part, l’Angleterre tirerait d’autant moins à soi de l’argent hollandais et que, de l’autre, il irait d’autant plus d’argent anglais à la Hollande à proportion du montant de cette différence et que, par conséquent, la balance du commerce en serait nécessairement d’autant plus contraire à l’Angleterre, et nécessiterait l’exportation en Hollande d’une somme plus forte en or et en argent[1].

  1. L’argent a la même valeur intrinsèque dans tous les pays ; mais cette marchandise, comme toutes les autres, acquiert un surcroit de valeur lorsqu’elle est transportée d’un lieu où elle était moins utile dans un lieu où elle le sera davantage. Les blés de Picardie destinés à la consommation de Paris, quand ils sont parvenus aux portes de cette ville, ont acquis une valeur additionnelle par les frais de transport sans lesquels cette denrée n’aurait pas eu toute l’utilité qui en a déterminé la production. Les frais et risques du transport de l’argent sont la seule cause qui fait varier le cours du change, et le résultat des transactions faites entre deux places est la circonstance qui rend ce transport plus ou moins utile.

    Quand les dettes et créances respectives du commerce de deux nations qui font des affaires l’une avec l’autre se balancent de telle manière qu’il n’y aura pas nécessité de transporter de l’argent d’un pays dans l’autre pour solder le compte définitif, alors il est indifférent pour un commerçant d’avoir de l’argent dans l’un ou dans l’autre pays : le transport d’espèces n’a point d’utilité, et le change est au pair.

    Ce pair du change s’exprime en traduisant simplement d’une langue dans l’autre la valeur nominale d’une quantité déterminée d’argent. Si un poids de 4 onces d’argent au titre ordinaire de la monnaie se nomme en France, quand il est monnayé, 25 francs, et que ce même poids se nomme dans la monnaie d’Angleterre une livre sterling, le change sera au pair entre les deux nations lorsque la livre sterling se fera sur la place de Londres au prix de 35 francs, ou que 25 francs achèteront à la bourse de Paris une lettre de change au moyen de laquelle le porteur «e fera payer en Angleterre une livre sterling.

    Mais si, toutes compensations faites, les marchands de Londres sont dans la nécessité de faire transporter de l’argent en France, ils rechercheront les lettres de change sur Paris, puisque ces lettres les mettront en possession d’une somme d’argent toute transportée et leur épargneront les frais et embarras du transport. De l’argent à Paris leur est dans ce cas plus utile que de l’argent à Londres ; il a la valeur additionnelle résultant du transport effectué. Ils achèteront peut-être jusqu’au prix de 21 schellings une lettre de change de 35 francs sur Paris, et par conséquent 35 francs achèteront sur la place de Paris une lettre de change de 31 schellings payables à Londres. Alors le change sera de 5 pour 100 contre l’Angleterre en faveur de la France.

    Supposons que la balance de doit et d’avoir étant égale entre ces deux pays, et par conséquent l’argent ayant autant de valeur sur une place que sur l’autre, il se soit en même temps opéré une espèce de révolution dans le langage approprié à la monnaie anglaise, que, par une altération dans les termes, la même expression n’ait plus le même sens et ne représente plus la même chose ; si les Anglais, au lieu d’énoncer, comme par, le passé, par ce mot de une livre sterling, un poids de 4 onces d’argent de notre poids de marc, entendent par ce même mot une promesse ou obligation plus ou moins solide, plus ou moins facile à réaliser, contractée par une association de banquiers de payer au porteur cette livre sterling, alors le commerce des lettres de change entre Paris et Londres ne se réglera plus sur les principes du change ni d’après le plus ou le moins d’utilité du transport des espèces d’un lieu dans l’autre. Ce sera un contrat ou marché d’une tout autre nature ; ce ne sera plus un échange d’argent contre argent, avec addition ou retenue de la somme équivalente aux frais et risques du transport des espèces. Ce contrat-ci est devenu une convention purement aléatoire, dont les conditions dépendent du plus eu moins de probabilité de la réalisation de la promesse, du plus ou moins de confiance qu’inspire le débiteur, du plus ou moins d’espoir de placer la promesse avec facilité et sans perte. Lorsque, par suite d’une émission de papier-monnaie hors de toute mesure, la livre sterling, il y a quelques années, se négociait à Paris au prix de 18 francs 75 centimes, si l’on suppose qu’il y eut balance dans les comptes de commerce respectifs entre les deux pays, alors les risques du non-payement de la promesse ou de la perte à faire pour la réaliser contre argent ou marchandises, étaient évalués à 25 pour 100. Celui qui prenait une lettre de change sur Londres et qui la payait avec des écus français savait que cette lettre de change n’était payable qu’en billets de la banque dépréciés par leur excessive surabondance, et qu’il n’estimait valoir que les trois quarts seulement de leur valeur nominale ou fictive. Quoique les gens de commerce donnassent à cet agio le nom de change, néanmoins le cours auquel se négociaient alors à Paris les traites sur l’Angleterre ne pouvait être regardé comme une indication de l’état du change entre les deux nations. Au temps même où se faisaient ces marchés, il se peut très-bien que, par le résultat des affaires respectives de commerce, le change réel fût en faveur de l’Angleterre, et que le prix de ce change, en élevant de quelque chose en France la valeur du papier-monnaie anglais, ait prévenu une plus forte dépréciation des traites sur l’Angleterre vendues à la bourse de Paris.

    Si la circulation monétaire de l’Angleterre, au lieu d’être en papier de banque, était en une monnaie altérée, rognée ou usée de 25 pour 100, en sorte que la livre sterling, au lieu de contenir 4 de nos onces, n’en contint plus que 3, cette livre sterling se vendrait 18 francs 75 centimes sur la place de Paris lorsque le change serait au pair entre les deux pays, parce que 18 francs 75 centimes formeraient alors le même poids d’argent que la livre sterling. On ne pourrait pas dire dans ce cas, comme l’a fait M. Ricardo, que le change fût au désavantage de l’Angleterre de 25 pour 100. Supposez que le cours de la livre sterling, pendant cette circulation de mauvaises espèces, fût a 20 francs, il faudra reconnaitre que le change réel est de 5 pour 100 en faveur de l’Angleterre, puisque 20 francs contiendraient un vingtième d’argent de plus que la livre sterling de cette monnaie rognée.

    Mais M. Ricardo, en poursuivant son raisonnement sur cette matière, suppose un concours de circonstances impossible et composé de faits qui s’excluent les uns les autres. 11 suppose qu’il y ait en Angleterre, dans la circulation, plus d’argent que n’en comportent les besoins de cette circulation, et qu’en même temps une loi prohibe d’une manière efficace l’exportation de cet argent superflu. Il pense que, dans un tel état de choses, le prix de toutes les marchandises hausserait dans le pays, et que le change serait, dans la même proportion, défavorable à l’Angleterre.

    D’abord, s’il est une maxime évidente en économie politique, c’est assurément celle établie par Smith, que la circulation ne peut retenir une quantité d’argent plus forte que celle qui est nécessaire à son service. Si une loi défendait l’exportation de cet urgent surabondant, et qu’on n’eût aucun moyen d’éluder la défense, les personnes qui posséderaient cette quantité d’argent rejetée par la circulation, comme surcharge inutile, ne voudraient pas pour cela, sans doute, donner, leur argent pour moins que sa valeur, et plutôt que d’y perdre, elles le feraient convertir en ouvrages d’orfèvrerie. Toute importation d’argent du dehors s’arrêterait nécessairement, et attendu que ce métal s’use et se consomme comme toute autre chose, on en reviendrait avec le temps à l’état naturel, et il arriverait tôt ou tard un moment où l’Angleterre n’aurait plus, tant en monnaie qu’en vaisselle, que la quantité d’argent nécessaire à sa consommation dans ces deux genres.

    Quoi qu’il en soit, l’hypothèse ne peut avoir aucun rapport avec la question du change. L’état du change dépend de la quantité d’affaires qui se font entre deux pays, mais nullement du prix en argent des marchandises dans l’un ou dans l’autre de ces pays. Admettons avec M. Ricardo que les prix en argent de toutes choses viennent à hausser en Angleterre de 10 pour 100 par une cause quelconque, cette circonstance ne changera rien aux affaires faites avec l’étranger. Si un marchand de Londres est dans l’usage de faire passer à Lisbonne dix pièces de toile pour lesquelles il retire un tonneau de vin de Portugal, il lui importe fort peu de payer ses toiles un dixième de plus en argent si le vin qu’il ramène en Angleterre doit hausser de prix dans la même proportion. Son gain ne diminuera point, et son compte à solder avec Lisbonne ne donnera pas lieu pour cela à la sortie d’un schelling de plus qu’auparavant. Garnier.