Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/220

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trat intervienne dans le régime même des propriétés particulières des individus, et leur envoie peut-être une lettre de cachet s’ils ne se conduisent pas, à cet égard, selon son bon plaisir, il est bien plus aisé pour lui de donner à l’esclave quelque protection, et naturellement la simple humanité le dispose à le faire. La protection du magistrat rend l’esclave moins méprisable aux yeux de son maître, et engage celui-ci à garder un peu plus de mesure dans sa conduite envers l’autre, et à le traiter avec plus de douceur. Les bons traitements rendent l’esclave non-seulement plus fidèle, mais plus intelligent et, par conséquent, plus utile ; sous ce double rapport il se rapproche davantage de la condition d’un domestique libre, et il peut devenir susceptible de quelque degré de probité et d’attachement aux intérêts de son maître, vertus qu’on rencontre souvent chez les domestiques libres, mais qu’on ne doit jamais s’attendre à trouver chez un esclave, quand il est traité comme le sont communément les esclaves dans les pays où le maître est tout à fait libre et indépendant.

L’histoire de tous les temps et de tous les peuples viendra, je crois, à l’appui de cette vérité, que le sort d’un esclave est moins dur dans les gouvernements arbitraires que dans les gouvernements libres[1] Dans l’histoire romaine, la première fois que nous voyons le magistrat interposer son autorité pour protéger l’esclave contre les violences du maître, c’est sous les empereurs. Lorsque Védius Pollion, en présence d’Auguste, ordonna qu’un de ses esclaves qui avait commis quelque légère faute fût coupé par morceaux et jeté dans un vivier pour servir de pâture à ses poissons, l’empereur, indigné, lui commanda d’affranchir immédiatement, non-seulement cet esclave, mais tous les autres qui lui appartenaient. Sous la république, aucun magistrat n’eût eu assez d’autorité pour protéger l’esclave, encore bien moins pour punir le maître.

Il est à remarquer que le capital qui a servi à améliorer les colonies à sucre de la France, et en particulier la grande colonie de Saint-Domingue, est provenu, presque en totalité, de la culture et de l’amélioration successive de ces colonies. Il a été presque en entier le produit du sol et de l’industrie des colons, ou, ce qui revient au même, le

  1. Ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis démontre avec la dernière évidence la vérité de cette observation d’Adam Smith. A. B.
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