Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/254

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avoir partout l’effet de détruire cet esprit d’économie qui est naturel à l’état de commerçant dans d’autres circonstances. Quand les profits sont élevés, il semble que cette vertu sévère soit devenue inutile, et qu’un luxe dispendieux convienne mieux à l’abondance dans laquelle on nage. Or, les propriétaires des grands capitaux de commerce sont nécessairement les chefs et les directeurs de tout ce qui compose l’industrie d’un pays, et leur exemple a une bien plus grande influence que celui de toute autre classe sur la totalité des habitants vivant de leur travail. Si le maître est économe et rangé, il y a beaucoup à parier que l’ouvrier le sera aussi ; mais s’il est sans ordre et sans conduite, le compagnon, habitué à modeler son ouvrage sur le dessin que lui prescrit son maître, modèlera aussi son genre de vie sur l’exemple que celui-ci lui met sous les yeux. Ainsi, la disposition à l’épargne est enlevée à tous ceux qui y ont naturellement le plus de penchant ; et le fonds destiné à entretenir le travail productif ne reçoit point d’augmentation par les revenus de ceux qui devraient naturellement l’augmenter le plus. Le capital du pays fond successivement au lieu de grossir, et la quantité de travail productif qui y est entretenue devient moindre de jour en jour. Les profits énormes des négociants de Cadix et de Lisbonne ont-ils augmenté le capital de l’Espagne et du Portugal[1] ? Ont-ils été de quelque secours à la pauvreté de ces deux misérables pays ? En ont-ils animé l’industrie ? La dépense des gens de commerce est montée sur un si haut ton dans ces deux villes commerçantes, que ces profits exorbitants, bien loin d’ajouter au capital général du pays, semblent avoir à peine suffi à entretenir le fonds des capitaux qui les ont produits. Les capitaux étrangers pénètrent de plus en plus journellement, comme des intrus, pour ainsi dire, dans le commerce de Cadix et de Lisbonne. C’est pour chasser ces capitaux étrangers d’un commerce à l’entretien duquel leur propre capital devient de jour en jour moins en état de suffire, que les Espagnols et les Portugais tâchent, à tout moment, de resserrer de plus en plus les liens si durs de leur absurde monopole. Que l’on compare les mœurs du commerce à Cadix et à Lisbonne avec celles qu’il nous montre à Amsterdam, et on sentira combien les profits exorbi-

  1. Est-il vrai que les profits nets réalisés par les marchands de Cadix et de Lisbonne auxquels Smith fait allusion, aient été réellement plus forts que ceux réalisés par les marchands de Londres ? Dans le cas où ils l’auraient été, les vicieuses institutions de l’Espagne auraient empêché les marchands d’accumuler et d’employer leur excédant comme le faisaient les marchands anglais. M. Culloch.