Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions, avantages que ne manque guère d’offrir la possession des provinces les plus turbulentes et les plus onéreuses pour le corps de la nation. À peine si le plus visionnaire de tous les enthousiastes serait capable de proposer une pareille mesure avec quelque espérance sérieuse de la voir jamais adopter. Si pourtant elle était adoptée, non-seulement la Grande-Bretagne se trouverait immédiatement affranchie de toute la charge annuelle de l’entretien des colonies, mais elle pourrait encore faire avec elles un traité de commerce fondé sur des bases propres à lui assurer de la manière la plus solide un commerce libre, moins lucratif pour les marchands, mais plus avantageux au corps du peuple, que le monopole dont elle jouit à présent. En se séparant ainsi de bonne amitié, l’affection naturelle des colonies pour leur mère patrie, ce sentiment que nos dernières divisions ont peut-être presque entièrement éteint, reprendrait bien vite sa force. Il les disposerait non-seulement à respecter, pendant une suite de siècles, ce traité de commerce conclu avec nous au moment de la séparation, mais encore à nous favoriser dans les guerres aussi bien que dans le commerce et, au lieu de sujets turbulents et factieux, à devenir nos alliés les plus fidèles, les plus généreux et les plus affectionnés. On verrait revivre entre la Grande-Bretagne et ses colonies cette même espèce d’affection paternelle d’un côté et de respect filial de l’autre, qui avait coutume de régner entre celles de l’ancienne Grèce et la métropole dont elles étaient descendues[1].

Pour qu’une province devienne avantageuse à l’empire auquel elle appartient, il faut qu’elle fournisse en temps de paix à l’État un revenu

  1. L’émancipation d’une colonie de la domination de la métropole parait être la conséquence naturelle de son développement progressif ; et toutes les tentatives faites pour la tenir dans l’obéissance, et pour resserrer des liens virtuellement rompus par suite de la différence profonde des intérêts, ne feront qu’accélérer une séparation devenue inévitable. La Grande-Bretagne et ses colonies, avant leur séparation, n’avaient aucun intérêt commun qui les unit ; et le droit d’impôt, que l’Angleterre s’était arrogé, lui aurait seulement donné la faculté de tirer un revenu d’un pays pour des objets dont celui-ci ne se serait soucié en aucune façon. Si l’Amérique avait consenti à cette imposition projetée, une influence étrangère aurait dominé dans ses conseils ; elle aurait été exploitée pour servir des vues étrangères, et elle aurait été exposée à la dégradation et à l’esclavage. Sous quelque prétexte spécieux qu’on cherchât à déguiser ce plan, l’Angleterre au fond ne voulait que faire payer un tribut à l’Amérique ; elle voulait lui faire porter une partie des charges qui pesaient sur la métropole, pour des objets qu’elle croyait essentiels à sa sécurité et à son bien-être, mais qui n’avaient aucune importance réelle pour l’Amérique.

    La tendance de l’Angleterre à se mêler des affaires de l’Europe est constatée par son histoire ; et l’Amérique, exempte, par sa situation même, des dangers réels ou imaginaires qui menacent la Grande-Bretagne, aurait été enveloppée dans toutes ses querelles ; elle aurait eu à supporter des taxes pour des guerres dans lesquelles elle n’aurait eu aucun intérêt ; ses ressources auraient servi à une politique étrangère ; et ç’auraient été les besoins de l’Angleterre, et non les siens propres, qui auraient déterminé la mesure de ses contributions.

    Et pourquoi l’Amérique aurait-elle renoncé au droit de s’imposer elle-même ? Pourquoi une grande nation, ayant l’intelligence de sa politique intérieure et extérieure, irait-elle demander la distribution de ses impôts à un pays étranger ? Une imposition venant de l’Angleterre, n’importe sous quelle forme, aurait été un coup mortel pour la liberté américaine, et c’est avec raison que M. Burke adressa aux partisans du système de taxation pour l’Amérique, ces paroles : « Quelle sera à l’avenir la liberté dont jouiront les Américains, et de quelle espèce d’esclavage resteront-ils exempts, si dans leur propriété et leur industrie vous les frappez par les lois que vous imposez au commerce, et si en même temps vous en faites une espèce de bêtes de somme pour les taxes que vous jugerez convenable d’établir, sans leur laisser la moindre part dans ces règlements ?… »

    « S’ils portent, continua-t-il, le fardeau du monopole illimité (unlimited monopoly), leur ferez-vous également porter le fardeau des revenus publics ?… L’Anglais de l’Amérique sentira que c’est là l’esclavage, et il ne trouvera pas de compensation ni pour ses sentiments, ni pour sa raison, dans la considération que c’est un esclavage légal. » (Discours sur l’Impôt américain, œuv. de Burke, IIe vol., p. 435.)

    Il était évident que les Américains ne pouvaient pas se soumettre à cette injustice ; il était également clair que l’Angleterre ne pouvait pas se relâcher de ses prétentions, sans reconnaître implicitement l’indépendance de l’Amérique. C’est seulement par le droit d’impôt que la métropole pouvait espérer de tirer quelque avantage de sa souveraineté sur les colonies. L’Amérique, en fournissant un revenu à la Grande-Bretagne, aurait été une dépendance utile de sa puissance ; mais sans ce revenu, sa soumission paraissait complètement inutile aux partisans de l’Angleterre. Mais il ne s’ensuit pas que, parce que l’union entre l’Amérique et l’Angleterre était sans utilité, elle dût devenir utile à la Grande-Bretagne aux dépens de l’Amérique. Lorsque la Grande-Bretagne eut perdu, par rapport a l’Amérique, toute espèce d’influence légitime et naturelle, il fallait en conclure, non point qu’elle dût ressaisir une autorité illégitime et usurpée, mais qu’elle eût à renoncer à des prétentions désormais sans réalité.

    C’est de cette manière seulement qu’on aurait pu fonder un établissement durable ; et il est à regretter que les gouvernants de ce pays-ci, voyant que leur empire transatlantique devenait un simple hochet de la vanité nationale, et qu’aucun revenu ne pourrait en être retiré par l’Angleterre, n’aient pas contribué à fonder un pareil établissement. Si leur politique avait suivi cette direction, la paix et la conciliation en seraient résultées, et l’histoire du pays n’offrirait pas le spectacle d’une guerre sanglante ; et les petits-fils n’auraient pas eu à payer les querelles et les folies de leurs aïeux. Buchanan.