Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous été inventés par des hommes libres. Si même un esclave s’avisait de proposer quelque moyen de ce genre, le maître serait très-disposé à regarder sa proposition comme suggérée par la paresse et par un désir d’épargner sa peine aux dépens du maître. Le pauvre esclave, au lieu de récompense, n’aurait vraisemblablement qu’une fort mauvaise réception à attendre, peut-être même quelque châtiment. Par conséquent, dans les manufactures qui vont par le moyen d’esclaves, il faut, en général, employer plus de travail pour exécuter la même quantité d’ouvrage, que dans celles qui vont par le moyen d’hommes libres. Par cette raison, l’ouvrage des manufactures de cette première espèce a dû, en général, être plus cher que celui des autres. M. de Montesquieu observe que les mines de la Hongrie, sans être plus riches que les mines de Turquie de leur voisinage, ont toujours été exploitées à moins de frais et, par conséquent, avec plus de profit. Les mines de la Turquie sont exploitées par des esclaves, et les bras de ces esclaves sont les seules machines que les Turcs se soient jamais avisés d’y employer. Les mines de la Hongrie sont exploitées par des hommes libres qui font usage d’une grande quantité de machines pour faciliter et abréger leur travail. D’après le peu que nous connaissons des prix des ouvrages de manufacture dans le temps des Grecs et des Romains, il parait que ceux du genre le plus fin étaient d’une cherté excessive. La soierie se vendait pour son poids d’or. Dans ces temps, à la vérité, ce n’était pas un ouvrage de fabrique européenne ; et comme elle était toute apportée des Indes orientales, la distance du transport peut, jusqu’à un certain point, rendre raison de l’énormité du prix. Cependant le prix qu’une dame payait quelquefois, dit-on, pour une pièce de très-belle toile, paraît avoir été tout aussi exorbitant ; et comme la toile venait toujours d’une fabrique européenne, ou, au plus loin, d’une manufacture d’Égypte, on ne peut rendre raison de l’énormité du prix que par la grande dépense de travail mise à cet ouvrage, et cette grande dépense de travail, à son tour, ne peut avoir eu d’autre cause que l’imperfection des machines dont on faisait usage. Le prix des belles étoffes de laine, quoiqu’il ne soit pas tout à fait aussi prodigieux, paraît cependant avoir été fort au-dessus des prix actuels.

Pline rapporte[1] que des draps teints d’une certaine façon coûtaient 100 deniers romains, ou 3 livres 6 sous 8 deniers la livre pesant. D’au-

  1. Liv. IX, chap. xxix.