Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/575

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exemple, une chemise, strictement parlant, n’est pas une chose nécessaire aux besoins de la vie. Les Grecs et les Romains vivaient, le pense, très-commodément, quoiqu’ils n’eussent pas de linge. Mais aujourd’hui, dans presque toute l’Europe, un ouvrier à la journée, tant soit peu honnête, aurait honte de se montrer sans porter une chemise ; et un tel dénuement annoncerait en lui cet état de misère ignominieuse dans lequel on ne peut guère tomber que par la plus mauvaise conduite. D’après les usages reçus, les souliers sont devenus de même, en Angleterre, un des besoins nécessaires de la vie. La personne la plus pauvre de l’un et de l’autre sexe, pour peu qu’elle respecte les bienséances, rougirait de se montrer en public sans souliers. En Écosse aussi, d’après les usages, cette chaussure est un des premiers besoins de la vie pour la dernière classe, mais parmi les hommes seulement ; il n’en est pas de même, dans cette classe, pour les femmes, qui peuvent très-bien aller nu-pieds sans qu’on en ait plus mauvaise opinion d’elles. En France, les souliers ne sont d’absolue nécessité ni pour les hommes ni pour les femmes ; les gens de la dernière classe du peuple, tant d’hommes que femmes, y paraissent publiquement, sans s’avilir, tantôt en sabots, tantôt pieds nus[1]. Ainsi, par les choses nécessaires à la vie, j’entends non-seulement ce que la nature, mais encore ce que les règles convenues de décence et d’honnêteté ont rendu nécessaire aux dernières classes du peuple. Toutes les autres choses, je les appelle luxe, sans néanmoins vouloir, par cette dénomination, jeter le moindre degré de blâme sur l’usage modéré qu’on peut en faire. La bière et l’ale, par exemple, dans la Grande-Bretagne, et le vin, même dans les pays vignobles, je les appelle des choses de luxe. Un homme, de quelque classe qu’il soit, peut s’abstenir totalement de ces liqueurs, sans s’exposer pour cela au moindre reproche. La nature n’en a fait des choses nécessaires au soutien de la vie, et l’usage n’a établi nulle part qu’il fût contre la décence de s’en passer.

Comme partout le salaire du travail se règle en partie par la demande de travail, et en partie par le prix moyen des choses nécessaires à la subsistance, tout ce qui fait monter ce prix moyen doit nécessairement faire monter les salaires, de manière que l’ouvrier soit toujours à

  1. Les choses sont bien changées en France depuis qu’Adam Smith écrivait ces lignes.