Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/73

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qui est encore beaucoup plus impossible à vaincre, l’intérêt privé d’un grand nombre d’individus, y opposent une résistance insurmontable. Si les officiers de l’armée s’avisaient d’opposer à toute réduction dans l’état militaire des efforts aussi bien concertés et aussi soutenus que ceux de nos maîtres manufacturiers contre toute loi tendant à leur donner de nou­veaux rivaux sur le marché national ; si les premiers animaient leurs soldats comme ceux-ci excitent leurs ouvriers pour les porter à des outrages et à des violences contre ceux qui proposent de semblables règlements, il serait aussi dangereux de tenter une réforme dans l’armée, qu’il l’est devenu maintenant d’essayer la plus légère attaque contre le monopole que nos manufacturiers exercent sur nous. Ce monopole a telle­ment grossi quelques-unes de leurs tribus particulières, que, semblables à une immen­se milice toujours sur pied, elles sont devenues redoutables au gouvernement, et dans plusieurs circonstances même elles ont effrayé la législature. Un membre du parle­ment qui appuie toutes les propositions tendant à renforcer ce monopole est sûr, non-seulement d’acquérir la réputation d’un homme entendu dans les affaires du com­merce, mais d’obtenir encore beaucoup de popularité et d’influence chez une classe de gens à qui leur nombre et leur richesse donnent une grande importance. Si, au contraire, il combat ces propositions, et surtout s’il a assez de crédit dans la chambre pour les faire rejeter, ni la probité la mieux reconnue, ni le rang le plus éminent, ni les services publics les plus distingués ne le mettront à l’abri des outrages, des insultes personnelles, des dangers même que susciteront contre lui la rage et la cupidité trompée de ces insolents monopoleurs[1].

  1. Les marchands ont maintenant des vues beaucoup plus libérales, plus larges et plus utiles même à leurs véritables intérêts. Comme preuve de ce progrès, il suffira de renvoyer à la pétition signée et présentée à la Chambre des communes, en 1820, par les négociants les plus considérables de Londres. Les avantages d’une concurrence illimitée y sont reconnus de la manière la plus explicite, des vœux y sont émis pour l’abolition des prohibitions et règlements conçus en vue de protéger l’industrie du pays, ainsi que des droits sur l’importation qui auraient d’autres buts que le revenu du Trésor. Une pareille pétition commence une ère nouvelle dans l’histoire du commerce ; elle prouve que les différences de vues, qui séparaient autrefois les théoriciens et les hommes pratiques ont entièrement disparu. Si M. Smith avait pu prévoir que ses principes finiraient par triompher, et que le système mercantile serait condamné par les négociants les plus considérables et les plus éclairés du monde, peut être aurait-il quelque peu tempéré la rigueur de ses observations sur la rapacité mercantile, dans ce paragraphe et dans plusieurs autres *.
    Mac Culloch.

    *. Il nous est impossible de partager la bonne opinion que M. Mac Culloch manifeste ici en faveur des partisans de monopoles. Loin d’être revenus a des idées plus Justes et plus raisonnables, les hommes qui vivent en France des abus du système protecteur se sont enhardis Jusqu’à considérer comme un droit acquis et imprescriptible la prohibition ou les restrictions en vertu desquelles ils font payer très-cher à leurs concitoyens de fort mauvais produits. Ils se coalisent entre eux afin d’imposer à la communauté, sous prétexte de protection au travail national, des tarifs exorbitants sur toutes les marchandises étrangères. Leur association est assez puissante pour paralyser la volonté même du gouvernement, et c’est ainsi que depuis plusieurs années toutes les enquêtes ouvertes en vue d’apporter quelques adoucissements aux droits de douane n’ont abouti qu’à des résultats insignifiants ou à des mesures rétrogrades. Peu s’en est fallu, un instant, qu’on ne signalât comme ennemis publics les défenseurs des vrais principes qu’Adam Smith a exposés et démontrés d’une manière si admirable dans ce chapitre. A. B.