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variétés historiques et biographiques

des humanistes du temps pour « ce chef-d’œuvre, disaient-ils, du Virgile revêtu de pourpre, digne d’être imbibé d’huile de cèdre et conservé dans le cyprès ». Mais il est plus difficile d’expliquer l’admiration des personnes d’un rang élevé qui ne connaissaient même pas le latin. Ce fut sans doute affaire de bon ton et de mode. Ils admiraient sur parole, comme plus tard sous Louis XVI, dans une mesure plus étroite, il est vrai, la vogue se porta un instant sur le Carmen seculare d’Horace mis en musique. Parmi ces admirateurs passionnés et irréfléchis, je citerai notamment cette spirituelle et fantasque duchesse du Maine, douée certainement d’un esprit prompt et très cultivé, mais qui n’était rien moins que sérieuse. Elle avait rassemblé à sa cour de Sceaux les derniers disciples du philosophe de Provence, de Gassendi, le fondateur de l’épicurisme en France. Ils étaient tous, comme leur patronne, « sectateurs du luxe, de l’élégance, de la politesse raffinée, de la philosophie, des lettres et de la volupté ».

Ce fut dans ces réunions de Sceaux, où les jours étaient tour à tour consacrés, sous la présidence de l’active duchesse, aux plaisirs, à la poésie, aux représentations théâtrales, que l’abbé de Polignac fut appelé, ainsi que nous l’apprend Mme de Staal, à traduire verbalement en français et à commenter son Anti-Lucrèce, ce poème destiné à battre en brèche les doctrines courantes et affectionnées des habitants de Sceaux.

Le succès du commentateur, j’imagine, fut assez sérieux pour que le duc du Maine, entrant dans les vues de son épouse, mît par écrit et offrît à cette princesse, avec une élégante épître dédicatoire, la traduction du premier livre de l’Anti-Lucrèce.

Tout cela serait certes bien inexplicable, si l’on ne savait que l’abbé de Polignac, « attiré plus par son goût pour les disciples d’Épicure que par les doctrines de leur maître, » était l’hôte le plus assidu et le plus recherché de cette cour en attendant qu’il en devînt l’oracle, et cela ne doit pas surprendre.

À son retour de Bonport, en 1702, Melchior de Polignac, dans toute la plénitude de la jeunesse, « était l’un des hommes