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commerce, le point le plus important de la Guyane française, c'est une humble religieuse, la Révérende Mère Javouhey, fondatrice de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, qui l'a créé.

En 1828, cette femme intrépide dont Chateaubriand avait dit : « Mme Javouhey est un grand homme », vint avec trente-six Sœurs et trente-neuf cultivateurs engagés pour trois années et quelques enfants,s'établir sur les bords de la Mana, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui le bourg. En 1835 les colons européens l'ayant presque tous quittée ; à l'expiration de leur engagement, elle demanda et obtint du Gouvernement que les noirs de traite, libérés en vertu de la loi du 4 mars 1831, seraient successivement envoyés sur les bords de la Mana. Cinq cent cinquante noirs, enlevés aux négriers capturés sur la côte furent ainsi préparés, par le travail et une éducation chrétienne, à la liberté dont ils devaient jouir plus tard.

La population s'est accrue, et les gens de Mana, qui sont, en ce moment au nombre de huit cents, sont fiers de n'avoir jamais été esclaves, et ont conservé un profond souvenir de vénération et de reconnaissance à la chère Mère, comme ils appellent encore la à Révérende Mère Javouhey. Les Sœurs de Saint-Joseph, en souvenir de leur vénérée fondatrice, y ont conservé un établissement important. Ce sont elles qui, jusqu'à ces derniers temps, ont instruit et élevé les enfants des deux sexes; et elles continuent à faire valoir une belle propriété avec une sucrerie, la seule qu'il y ait en ce moment à la Guyane.

Mana est un bourg considérable à larges rues sablonneuses, possédant une vaste église bien ornée, une horloge à son clocher, une grande mairie et quelques belles maisons. Sa population en ce moment est excessivement mêlée : quoiqu'il n'y ait à peu près de blanc que le sable de ses rues et quelques rares Européens, elle est bien la réunion de toutes les couleurs de toutes les races. Il y a là, à côté des noirs de toute nuance de Mana, des Coolis, des Chinois, des Annamites, des Peaux-Rouges ou Indiens d'Amérique, des Tapouyes ou métis portugais, des Boschs, des Bonis, des Paramaca, des Saramaca, des Arabes ; On y parle au moins dix langues différentes. Ce n'est pas ce mélange qui contribue précisément à élever le niveau moral de cette localité.

Ce qui fait affluer ainsi ce monde bigarré « ex omni natione », ce sont les placers établis dans le haut de la rivière. Les nègres Boschs et Bonis sont là, près de cent cinquante, occupés presque exclusivement au transport des vivres, du personnel et des instruments destinés aux placer.

Pendant notre séjour à Mana, nous irons visiter l'établissement des lépreux, placé sur la rive droite de l'Accarouany, affluent de la Mana, à quinze kilomètres du bourg. Cet établissement, admirablement situé sur un vaste plateau qui domine la petite rivière, est encore une des œuvres de la R. M. Javouhey.

La colonie pénitentiaire. — Saint-Laurent est l'établissement pénitentiaire le plus important de la Guyane. Fondé en 1858 sous la sage et intelligente direction de M. Mélinon, cet établissement avait donné les plus belles espérances. C'est là qu'on voulait établir en grand, la colonisation pénitentiaire par la culture ; et c'est là que fut inauguré le système des concessionnaires qui devait être, en effet, le seul moyen de coloniser, s'il avait été possible de coloniser à la Guyane avec des éléments purement européens.

Ce système consistait à accorder à tout transporté en cours de peine se conduisant bien, et à tout transporté ayant terminé sa peine, une maison, une certaine superficie de terrain, des instruments de culture et des vivres pendant trois ans avec autorisation de se marier. Dans ce but on avait dirigé sur la Guyane plusieurs convois de femmes condamnées, choisies dans les Maisons Centrales de la Métropole. Hélas ! les résultats n'ont pas répondu aux espérances qu'on avait conçues.

« Voilà vingt-sept ans, racontait en 1886 le R. P. Brunerti, que j'ai assisté aux deux premiers mariages de ce genre qui ont eu lieu à Saint-Laurent et qui ont été suivis de beaucoup d'autres. Que reste-t-il de tout cela en ce moment ? La plupart des concessions sont abandonnées, et de toutes ces unions, quelques dizaines d'enfants chétifs et malingres, dont la plupart meurent avant l'âge de quinze ans. »

Si, de Saint-Laurent, nous étendons nos regards sur la transportation à la Guyane, nous constaterons partout les mêmes résultats négatifs, la même stérilité. Elle existe depuis trente-cinq ans, et près de 20,000 forçats y ont été envoyés successivement depuis 1851 jusqu'à ce jour. La France a dépensé plus de cent millions dans cette entreprise : les hommes sont morts, les millions absorbés et à Guyane n'a pas avancé d'un pas dans la colonisation.

Quelle conclusion à tirer de cette longue et coûteuse expérience ? La première, c'est que la culture de la terre en plein soleil dans les pays intertropicaux est impossible pour l'Européen. La seconde, c'est