Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silence, si, par crainte pour soi-même ou pour un ami, on se refuse à mon ordre, apprenez donc ce que je ferai dès lors. Cet homme, quel qu’il soit, je défends à tout habitant de cette contrée où je règne[1], de le recevoir, de lui adresser la parole, de l’admettre aux prières et aux sacrifices divins, de lui présenter l’eau lustrale ; que tous le repoussent de leurs maisons, comme le fléau de la patrie ; ainsi me l’a ordonné naguère l’oracle du dieu qu’on adore à Delphes. En agissant ainsi, j’obéis au dieu, et je venge le roi qui n’est plus. Je maudis l’auteur caché du crime, soit qu’il l’ait commis seul, ou qu’il ait eu des complices ; et que, proscrit partout, il traîne misérablement sa vie. Et s’il est admis dans mon palais, à mon foyer, et de mon consentement, je me voue moi-même aux imprécations que je lançais tout à l’heure contre les coupables. C’est à vous, Thébains, d’exécuter tous ces ordres, pour venger le dieu, et moi-même, et cette terre, frappée de stérilité et de la colère céleste[2]. Et lors même que la recherche du meurtrier n’aurait pas été commandée par les dieux, il ne vous convenait point de laisser sans expiation un crime qui vous a ravi votre roi, le meilleur des hommes ; non, il fallait rechercher le coupable. Mais aujourd’hui que je suis monté sur le trône qu’il occupait, et que j’ai reçu la main de son épouse, et que mes enfants et les siens seraient frères, s’ils avaient vécu, mais la fortune était déchaînée contre lui[3] ; à tous ces titres, je vengerai sa mort comme celle de mon père, et je ferai tout pour découvrir le meurtrier du fils de Lab-

  1. Littéralement : « où je possède la puissance et le trône. »
  2. ᾿Ακάρπῶς κἀθέως ἐφθαρμένης. C’est ainsi que dans Électre, v. 1181, Oreste, à la vue de sa sœur, s’écrie :
    Ὦ σῶμ᾽ ἀτίμως κἀθέως ἐφθαρμένον !
    « O beauté indignement flétrie, et par l’abandon des dieux ! » Le mot ἀθεος sera encore employé dans le même sens par le Chœur, au v. 661 : « abandonné des dieux. »
  3. Littéralement : « La mauvaise fortune avait fondu sur sa tête. » Voir dans Antigone, v. 1 345, une parole semblable : τὰ δ᾽ ἐπὶ κρατί μοι πότμος δυσκόμιστος εἰσήλατο