Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ISMÈNE.

Et pour t’annoncer moi-même les nouvelles de Thèbes, je suis venue avec ce serviteur, qui me restait seul fidèle.

ŒDIPE.

Où sont tes frères, eux que leur jeunesse rend capables de supporter la peine[1] ?

ISMÈNE.

Ils sont... je ne sais[2]... mais leur sort est funeste.

ŒDIPE.

Oh ! que leur caractère et leur conduite ressemblent aux mœurs des peuples de l’Égypte ! Là, en effet, les hommes restent assis à la maison, occupés à tisser de la toile[3], tandis que leurs compagnes vont toujours au dehors, se procurer la subsistance de la famille. Ainsi, mes filles, ceux qui devaient naturellement prendre soin de moi, se renferment dans leur maison comme des vierges timides, et vous laissent supporter à leur place tous les maux d’un père malheureux. L’une, depuis qu’elle est sortie de l’enfance et que son corps a pris des forces, toujours errante et malheureuse avec moi, a accompagné ma vieillesse, supporté la faim, marché nu-pieds à travers les ronces des forêts, et bravant les pluies ou les feux du soleil, méprisé toutes les jouissances de Thèbes, pour soutenir l’existence d’un père. Et toi, ma fille, t’échappant à la vue des Thébains, tu es venue m’informer des oracles dont ma personne était l’objet ; tu fus mon gardien fidèle, quand j’étais chassé de ma patrie. Et maintenant, Ismène, que viens-tu annoncer à ton père ? Quelle cause t’a fait entreprendre ce voyage ? car

  1. Un peu plus bas, le v. 342 donne l’explication de l’ellipse qui se trouve ici dans le texte.
  2. Littéralement : « Ils sont où ils sont, » expression évasive, dont on a déjà vu un exemple au v. 273 : « J’ai fait ce que j’ai fait. »
  3. C’est ce que dit Hérodote, II, 35. Le scholiaste cite un fragment du l. XII de Nymphodore (sur l’histoire des Barbares), qui attribue cette singulière coutume à la politique de Sésostris.