Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/243

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tu ne viens pas sans quelque nouvelle, j’en suis certain ; puisses-tu n’avoir pas de malheur à m’annoncer !

ISMÈNE.

Tout ce que j’ai souffert, mon père, en cherchant l’asile qui assurait ton existence, je le passerai sous silence, car je ne veux pas souffrir deux fois, en renouvelant des douleurs passées ; mais je viens t’apprendre les maux qui fondent aujourd’hui sur tes malheureux fils. D’abord, ils voulaient tous deux céder le trône à Créon, et ne pas souiller la ville, dans la crainte d’attirer sur Thèbes l’antique infortune attachée à ta race déplorable ; mais depuis, quelque dieu, ou la perversité de leur cœur, a excité entre eux la discorde et un désir funeste de régner et de s’emparer du pouvoir suprême. Le plus jeune a repoussé du trône son frère aîné Polynice[1], et l’a chassé de sa patrie. Celui-ci, comme c’est le bruit public, s’est réfugié dans Argos[2], et, appuyé d’une alliance nouvelle[3] et de nombreux guerriers ses amis, il pense que les Argiens s’empareront glorieusement de la ville de Cadmus, ou qu’ils feront monter Thèbes jusqu’aux cieux[4]. Ce ne sont point là, mon père, de vaines rumeurs, mais de cruelles réalités ; mais en quel lieu les dieux auront pitié de tes souffrances, je ne puis le savoir.

ŒDIPE.

As-tu donc espéré que les dieux prendraient jamais quelque souci de mes maux, et songeraient à me délivrer ?

ISMÈNE.

Du moins les oracles récents me donnent cet espoir.

ŒDIPE.

Quels oracles ? qu’annoncent-ils, ma fille ?

  1. Ici, Sophocle fait de Polynice l’aîné des deux frères, tandis que chez d’autres poètes, tels qu’Euripide, c’est Étéocle.
  2. Κοῖλον ῎Αργος. Argos était entourée de collines.
  3. C’était une chose nouvelle, c’est-à-dire inusitée, qu’un Thébain allât prendre femme dans Argos.
  4. Si les Argiens sont vaincus.