Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/280

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sa triste vie ne sont pas moins misérables. Ah ! malheureux, c’est trop tard que je m’en aperçois ; je suis, je le reconnais à la vue de ton indigne nourriture, le plus coupable des fils ; j’en fais moi-même l’aveu. Mais, puisque la clémence partage le trône de Jupiter même pour toutes nos actions, qu’elle ait aussi, mon père, accès auprès de toi. Mes fautes peuvent se réparer, ne crains plus rien de ma part. Tu gardes le silence ? mon père, une seule parole ; ne détourne pas tes regards. N’aurai-je pas de toi une réponse ? me renverras-tu avec dédain, sans dire un mot, sans expliquer le sujet de ta colère ? O vous, ses filles chéries, vous, mes tendres sœurs, essayez d’émouvoir son cœur inexorable, afin qu’il ne renvoie pas honteusement sans réponse un suppliant, venu sous les auspices d’un dieu.

ANTIGONE.

Infortuné ! dis le motif qui t’amène en ces lieux. Tout discours, soit qu’il plaise, soit qu’il offense, soit qu’il excite la pitié, fait rompre enfin le silence le plus obstiné.

POLYNICE.

Eh bien ! je parlerai, car ton conseil est sage ; d’abord j’invoquerai le dieu dont je viens de quitter les autels, sur la foi du roi de ce pays, qui m’a promis que je pourrais parler et écouter en toute sûreté ; puissé-je trouver la même bienveillance auprès de vous, étrangers, et auprès de mes sœurs et de mon père ! Mais je vais dire, mon père, ce qui m’amène ici. J’ai été chassé de ma patrie, exilé, pour avoir voulu m’asseoir sur son trône royal, par droit de naissance, comme l’aîné ; et c’est mon frère Étéocle, plus jeune que moi, qui me bannit, et qui l’emporte, non pas par ses droits, ni par la valeur ou par le mérite, mais par ses intrigues auprès des citoyens. Tes imprécations[1], je le sais, sont la cause de ces désastres ;

  1. Τὴν σὴν Ἐρινὺν, ta Furie, c’est-à-dire la Furie que tes malédictions ont attachée à nous.