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NOTICE
SUR L’AJAX.




L’action se passe le lendemain du jour où les chefs de l’armée des Grecs ont décerné à Ulysse les armes d’Achille, au détriment d’Ajax, qui les réclamait comme un prix dû au plus vaillant. Indigné de cet affront, Ajax voulut en tirer vengeance. Pendant la nuit, il se prépare à immoler Ulysse et les Atrides ; mais au moment où il allait pénétrer dans leurs tentes pour les égorger, Minerve frappe son esprit de vertige, et fait tomber ses coups sur des troupeaux, dont il fait un horrible carnage, croyant punir les Grecs. Il enchaîne ce que son bras a épargné, et il flagelle impitoyablement un bélier qu’il prend pour Ulysse ; d’où est venu le titre de la pièce, Ajax porte-fouet (μαστιγοφόρος), épithète ajoutée sans doute pour le distinguer d’Ajax le Locrien, autre tragédie de Sophocle, dont il ne reste que des fragments[1].

C’est à ce moment que la pièce commence. Le lieu de la scène est d’abord dans le camp des Grecs, devant la tente d’Ajax ; plus tard, lorsque Ajax se donne la mort, la scène est transportée dans un lieu écarté et sauvage, non loin du camp. Les exemples de ces changements de lieux ne sont pas rares dans le théâtre grec, quoi qu’en aient dit ceux qui ont voulu défendre la loi absolue des unités. L’exposition est faite par Minerve elle-même, qui raconte à Ulysse les événements de la nuit. Remarquons en passant l’art du poète, qui ne nous a pas montré Ajax au plus fort de l’accès de sa frénésie ; nous n’en voyons que le déclin. Par un habile emploi du clair-obscur, il a mis en récit tout ce qui aurait pu dégrader par trop son héros ; et de ce triste spectacle il fait sortir une impression religieuse, en mettant dans la bouche d’Ulysse ces deux vers, qui sont comme la morale de la pièce : « Je vois que tous, sur cette terre, nous ne sommes que des fantômes ou une ombre vaine. » À quoi

  1. Eschyle avait fait également une tragédie intitulée Ajax le Locrien, dont un seul fragment, qui ne forme pas même un vers complet, a été conservé par Zénobius. Proverb. VI, 14.