Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/34

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paroles retentissent à mon oreille et frappent mon esprit, comme les sons éclatants d’une trompette tyrrhénienne[1]. Et maintenant tu as bien compris que j’épiais un ennemi ; c’est en effet le redoutable Ajax que je cherche. Il a commis cette nuit l’action la plus incroyable, s’il est vrai qu’il en soit l’auteur ; car nous ne savons encore rien de certain, et nous flottons dans le doute ; aussi me suis-je chargé volontairement d’éclaircir nos soupçons. Tous les troupeaux que nous avions pris dans le butin ont été trouvés égorgés avec leurs gardiens eux-mêmes ; or, chacun l’accuse de ces meurtres ; et un éclaireur m’a assuré l’avoir vu traverser à grands pas la plaine, seul, avec une épée fraîchement teinte de sang ; aussitôt j’ai suivi ses traces ; quelques indices me semblent certains, d’autres me troublent et je ne trouve rien de sûr. Mais tu es venue à propos ; car en toutes choses, par le passé comme dans l’avenir, je me laisse diriger par ta main[2].

MINERVE.

Je le savais, Ulysse, et depuis longtemps je suis venue veiller sur ta route, pour favoriser ta chasse.

    ou s’il ne fait que l’entendre ; ce qui dépend de la manière de traduire le mot άποπτος, invisible, ou bien qui se voit de loin. M. Boissonade pense qu’Ulysse voit et entend la déesse. Plus bas, Ajax la verra aussi. Hermann est du même avis. Brunck, et les éditeurs les plus récents, Wunder et Bothe, d’accord avec le Scholiaste, pensent que Minerve est invisible à Ulysse. J’ai adopté leur opinion. Dans l’Hippolyte d’Euripide, Diane, qui apparaît à la dernière scène, s’adresse à Thésée et à son fils, sans être vue par eux. De même, dans le Rhésus, la voix de Minerve se fait entendre à Ulysse et à Diomède, qui ont pénétré la nuit dans le camp des Grecs, mais ils ne la voient pas.

  1. Virgile, Énéide, VIII, v. 526 :
    Tyrrhenusque tubæ mugiresser æthera clangor.
    Stace, Thébaïde, III, v. 650 :
    Et tua non unquam Tyrrhenus tempora circum clangor eat.
    et Silius Italicus, II, 19 :
    Tyrrhenæ clangore tubæ.
  2. Au dixième chant de l’Iliade, v. 278-280, Ulysse adresse à Minerve une invocation semblable.