Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/387

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faits la reconnaissance que je vous ai vouée ? Partons, mon fils, après avoir dit un dernier adieu à cette triste demeure[1], pour que tu saches de quoi j’ai vécu, et ce qu’il m’a fallu de courage. Nul autre que moi, je pense, n’aurait pu même en supporter la vue ; mais la nécessité m’a appris à aimer jusqu’à mon malheur.

LE CHŒUR.

Arrêtez, sachons de quoi il s’agit : car voici deux hommes qui s’avancent, l’un étranger, l’autre matelot de ton navire ; écoutez ce qu’ils ont à dire, vous entrerez ensuite dans la grotte.



UN MARCHAND[2].

Fils d’Achille, j’ai prié cet homme, qui gardait ton vaisseau avec deux de ses compagnons, de me dire où tu pouvais te trouver, puisque je t’ai rencontré sans m’y attendre, car le hasard seul m’a amené sur la même côte. En effet, revenant de Troie, comme armateur, avec ma petite cargaison, vers ma patrie, l’île de Péparèthe[3], riche en vignobles, quand j’appris que tous ces matelots faisaient partie de ton équipage, j’ai cru devoir ne pas mettre à la voile, sans rien dire, avant de t’avoir parlé, et obtenu le prix du service que je puis te rendre. Tu ne sais rien apparemment des projets que les Grecs ont

  1. Grec : « à cette habitation inhabitable. »
  2. Ce prétendu marchand n’est que l’espion dont Ulysse a parlé dans la première scène, au vers 127. Il se donne pour un des marchands qui portaient du vin ou d’autres denrées à l’armée grecque.
  3. Petite île de la mer Egée, une des Cyclades, située entre Lemnos et l’Eubée, en face de la Magnésie, et près de Scyros. Elle faisait le commerce de vins, ce qu’indique l’épithète εὔβοτρυν. Ovide, Métam. VIII, 470, l’appelle :
    Nitidæque ferax Peparethos olivæ.
    Héraclide de Pont en dit : Αῦτη ή νῆσος εὒοινός ὲστι καὶ εὒδενδρος. Pline, H. N. l. IV, c. 23 : « Peparethum cum oppido, quoniam Evœnum dictam. » Au l. XIV, c. 9, il rapporte que le médecin Apollodore, dans un traité adressé au roi Ptolémée sur les vins qu’il devait boire, lui conseille de préférence celui de Péparèthe.