Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/45

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causé par son délire, il se frappe la tête, pousse des cris, se couche et s’étend sur cet amas de troupeaux égorgés, s’arrachant les cheveux avec violence. Il resta longtemps assis dans un morne silence ; puis, m’adressant les plus terribles menaces, si je ne lui révélais tout ce qui s’est passé, il me demanda en quelle extrémité il était tombé. Et moi, mes amis, effrayée, je lui racontai tout ce qu’il avait fait, autant du moins que je le savais ; alors il poussa des gémissements douloureux, tels que je n’en avais jamais entendu sortir de sa bouche ; car toujours il disait que de telles plaintes ne partaient que d’une âme faible et pusillanime ; mais sans faire entendre de lamentations aiguës, sa douleur ne s’exprime que par des gémissements étouffés, semblables aux mugissements d’un taureau. Et maintenant, plongé dans cet abime d’infortune, il refuse toute nourriture, et reste immobile au milieu de ces troupeaux égorgés : à son langage, à ses plaintes, il est aisé de voir qu’il médite quelque dessein funeste. Ô mes amis, je suis venue pour implorer votre aide ; entrez, donnez-lui les secours qui sont en votre pouvoir ; car les hommes tels que lui cèdent à la voix de leurs amis.

LE CHŒUR.

Fille de Téleutas, ô Tecmesse ! tu nous dis là un fait terrible, que son malheur l’ait jeté dans l’égarement !

AJAX, dans sa tente.

Hélas ! hélas !

TECMESSE.

Bientôt, il semble, son mal va redoubler ; c’est Ajax, n’avez-vous pas entendu quels cris il pousse ?

AJAX.

Ah ! malheureux !

LE CHŒUR.

On le dirait encore dans le délire, ou il pleure son délire passé.

AJAX.

Ô mon fils ! mon fils !