Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/469

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LA NOURRICE.

J’ai tout vu, car j’étais auprès d’elle.

LE CHŒUR.

Comment la chose s’est-elle passée ? dis-le-moi, je te prie ?

LA NOURRICE.

C’est elle qui, de sa main, s’est frappée elle-même.

LE CHŒUR.

Que dis-tu ?

LA NOURRICE.

La vérité.

LE CHŒUR.

Cette jeune épouse nouvellement arrivée a attiré sur cette maison de grands désastres.

LA NOURRICE.

Trop sans doute ! mais si tu avais vu de près tout ce qu’elle a fait, ta pitié serait bien plus vive encore.

LE CHŒUR.

Et le bras d’une femme a osé accomplir un tel acte ?

LA NOURRICE.

D’une manière terrible ; mais je vais te l’apprendre, et tu reconnaîtras la vérité de mon récit[1]. Après qu’elle fut rentrée seule dans le palais, et qu’elle eut vu son fils préparer une litière pour retourner au devant d’Hercule, elle se cacha en un lieu où nul ne pût la voir, puis, tombant au pied des autels, elle se plaignit avec des cris lamentables de ce qu’elle devenait veuve ; et si elle touchait quelqu’un des objets jadis à son usage, l’infortunée pleurait ; errante çà et là dans le palais, si quelqu’un de ses fidèles serviteurs se trouvait sur ses pas, la malheureuse pleurait à cette vue, accusant elle-même sa propre destinée, et gémissant sur sa maison désormais

  1. Quelques traits de ce récit ont été reproduits par Virgile, lorsqu’il peint les derniers moments de Didon (Æn., ch. IV, v. 645 et suivants) :
    Altos.
    Conscendit furibunda rogos...
    Incubuitque toro, dixitque novissima verba.