Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/470

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privée d’enfants. Mais après ces premiers épanchements, je la vois s’élancer tout à coup vers la chambre d’Hercule ; et moi, cachée dans l’obscurité, je l’observais en silence ; je la vois étendre de riches couvertures sur le lit d’Hercule, puis, quand elle eut terminé ces apprêts, s’élancer, s’y asseoir, et dire avec des torrents de larmes : « O lit, ô couche nuptiale, adieu pour jamais ! car vous me recevez ici pour la dernière fois. » À ces mots, d’une main assurée elle détache l’agrafe d’or qui fixait sur son sein le haut de son péplus, et se découvre l’épaule et le bras gauche tout entier[1] ; et moi, hâtant ma course autant que je le pouvais, je vas annoncer ces apprêts à son fils ; mais, pendant cette allée et venue rapide, nous la voyons se frapper d’un glaive à double tranchant, sous le foie et les entrailles[2]. À cette vue, son fils pousse un cri ; instruit trop tard de ce qui s’était passé dans le palais, le malheureux comprit le désespoir qui avait porté Déjanire à se frapper, pour se punir d’avoir été induite par le Centaure à cet acte odieux. Alors, ce fils infortuné, donnant un libre cours à ses larmes, ne cessait de gémir et de la couvrir de ses baisers, puis il se jetait auprès d’elle, et restait étendu à ses côtés, se désolant de l’avoir injustement accusée[3], et d’être à la fois privé de sa mère et de son père pour le reste de sa vie. Telles sont leurs infortunes. Celui donc qui compte sur deux ou plusieurs jours de vie est insensé, car on n’est pas sûr même du lendemain, avant d’avoir heureusement passé le jour présent.



LE CHŒUR.

(Strophe 1.) À qui donnerai-je d’abord mes regrets ?

  1. On peut comparer toute ce passage avec le récit de la mort de Polyxène, dans Hécube, v. 564 et suivants.
  2. Ainsi, dans l’Odyssée, IX, 301 :
    Πρὁς στῆθος, ὃθι φρένες ἥπαρ ἒχουσεν.
  3. ῍Ως νιν ματαίως αἰτίᾳ βάλοι κακῇ: la même expression se retrouve dans Œdipe Roi, v. 656-7.