Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/72

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effet, des reproches, quelque mérités qu’ils puissent être, blessent toujours.

MÉNÉLAS.

Cet archer[1] a l’air de ne pas manquer d’orgueil.

TEUCER.

C’est que l’art où j’excelle n’est point un art méprisable.

MÉNÉLAS.

Quelle serait ta fierté, si tu portais le bouclier ?

TEUCER.

Même sans armes, je te combattrais armé de toutes pièces.

MÉNÉLAS.

Oh ! que ta langue nourrit un terrible courage !

TEUCER.

La fierté est permise, quand on a pour soi la justice.

MÉNÉLAS.

Est-il donc juste de faire triompher mon assassin ?

TEUCER.

Ton assassin ! la chose est étrange ; tu es mort, et tu vis !

MÉNÉLAS.

C’est qu’un dieu m’a sauvé, mais dans l’intention d’Ajax, j’étais mort.

TEUCER.

N’outrage donc pas les dieux, qui ont sauvé tes jours.

MÉNÉLAS.

Voudrais-je donc enfreindre leurs lois ?

TEUCER.

Oui, en ne permettant pas d’ensevelir les morts.

MÉNÉLAS.

Ce sont mes propres ennemis ; car la chose est mal séante.

TEUCER.

Est-ce qu’Ajax fut jamais ton ennemi ?

  1. Les archers étaient moins estimés que les autres soldats. Dans Philoctète (v. 1057), Ulysse cite Teucer comme le plus habile archer de l’armée. Dans l’Hercule furieux d’Euripide, v. 159-164, Lycos parle avec mépris des archers.