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AVANT-PROPOS.

s’abattent aux pieds du fétiche et l’enivrent de leur encens : « Il y en a qui semblent être gagés du Roy pour donner des vers à tous les auteurs du temps. L’on voit leurs noms par tous les livres ; et sans cela leurs œuvres ne seroient pas imprimées, car elles ruineroient les libraires. »

— Celui-là, d’un caractère plus tranché que le précédent, aspire franchement « à la tyrannie, » et grommelle en caressant ses moustaches en croc : « Il y a encore de petits esprits rebelles qui ne sont point venus faire la révérence ; ce sont de petits comtes Palatins qui ne veulent pas reconnoître leur empereur ; mais je les ferai bien venir à la raison. »

— Cet autre, qui est un épistolier de profession, et qui est drapé à la Balzac, réclame un silence religieux et lit une lettre fraîchement sortie de sa plume, « la plus extravagante et la plus impertinente qu’on puisse trouver. » Il articule « les mots avec un ton de comédie et semble mordre à la grappe. » Ses « auditeurs allongent un col de gruë et à tous coups, avec une stupéfaction et un ravissement intrinsèque, roulent les yeux en la tête comme un mouton qui est en colère ; le plus apparent d’eux à chaque période s’écrie : « Que voilà qui est bien ! » Et la même exclamation de s’échapper successivement de toutes les bouches. On croirait être à cet écho de Charenton qui répète sept fois ce que l’on a dit. » Mais ces applaudissements ne sont que prêtés : il faut les rendre.

— Après l’épistolier, c’est le tour d’un poëte qui fait ronfler les plus brillantes métaphores et s’arrête entre les stances pour donner à l’admiration le temps d’éclater.

Les lectures achevées, une grande discussion s’ouvre sur des questions de grammaire et de prosodie. On se demande, entre autres choses, si l’on doit dire : « Il eût été mieux, ou il eût mieux été ; » si l’on peut faire rimer « Saint-Cosme avec royaume. » Difficultés qui demeurent insolubles. De guerre lasse, l’illustre compagnie se rend à la Croix-de-Lorraine ou dans tout autre cabaret ; et là, entre les pots, la discussion se termine par «  de bons mots de gueule. »

En résumé, Francion est un document précieux, non-seulement pour l’histoire littéraire, mais aussi pour l’histoire des mœurs, des usages et des modes du dix-septième siècle[1]. Nous ne nous appesantirons pas sur ce dernier point ; nous laisserons au lecteur le soin de l’apprécier chemin faisant. Il est inutile de montrer du doigt ce qui saute aux yeux. L’échantillon que nous venons de donner suffit comme avant goût de l’œuvre.

  1. De nos jours, M. Eug. Maron est, croyons-nous, le premier qui se soit efforcé de tirer Francion de l’injuste oubli dans lequel il était tombé. (Voir son très-remarquable travail sur le Roman de mœurs au dix-septième siècle, inséré dans la Revue indépendante de février 1848.)