Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/218

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il étoit devant elle, il faisoit le passionné, et rouloit les yeux en la tête comme ces petites figures d’horloges que l’on fait aller par ressort. Il lui parloit toujours phébus dans son transport, et lui disoit : Que je baise ces belles mains, ma belle ! Mais, las ! quel prodigieux effet, elles sont de neige et pourtant elles me brûlent. Si, je baise ces belles roses de vos joues, ne serai-je point piqué, vu que les roses ne sont point sans épines ? Il en enfiloit bien d’autres, qu’il sçavoit par routine, et son humeur étoit de témoigner toujours des passions extravagantes. Quand il étoit même devant des princesses, il faisoit semblant d’être touché d’admiration, et leur disoit : Ah ! madame, je perds la vue pour avoir trop vu de belles choses, et je m’en vais encore faire la perte de ma parole, qui ne vous peut plus entretenir parmi mon ravissement. Il eût bien dit plus vrai, s’il se fût plaint de la perte de son esprit ; aussi prenoit-on tout ce qu’il disoit de la part d’où il venoit, et l’on lui souffroit des choses dont l’on se fût offensé si elles eussent été dites par un autre.

Je pense qu’il n’y avoit personne que Diane qui en fît de l’estime ; encore n’étoit-ce pas peu pour lui, à la vérité, puisqu’il en étoit amoureux. Les sottises de courtisan qu’elle lui voyoit faire lui étoient plus agréables que ma modestie, et elle lui donnoit tous les moyens qu’elle pouvoit de parler à elle. Elle se tenoit à la porte aux heures qu’il devoit passer, et bien souvent elle ne lui refusoit point l’entrée de sa maison. Il me prit fantaisie de l’aller voir, pour sçavoir comment j’étois avec elle ; mais elle me fit dire qu’elle ne pouvoit voir personne ce jour-là. Je m’avisai d’emprunter le laquais d’un de mes amis, car je n’en avois point ; et, quand j’en eusse eu, il n’eût pas été propre à faire ce que je désirois. Je l’envoyai à Diane, comme de la part de Mélibée, sçavoir s’il ne lui feroit point d’incommodité de l’aller voir. Elle lui répondit que non ; mais elle eut beau attendre. Comme il fut venu me rapporter ceci, je connus pour chose avérée que Mélibée la possédoit tout à fait, et qu’il falloit qu’il eût aussi gagné son cousin. Je vous proteste que j’eus pourtant des mouvemens de dédain plutôt que de jalousie. Il me sembloit que Diane, me quittant pour Mélibée, étoit assez punie de son aveuglement, et je ne me voulus point fâcher d’une chose dont elle se devoit fâcher elle-même. Je me consolai, en ce que de la rechercher