Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/231

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qui plus est, je sçais qu’il s’est mis maintenant au service d’Alcidamor ; c’est lui aussi, sans doute, qui a composé l’autre pièce. Cela peut bien être, dit Clérante : quand il venoit ici, il ne me chantoit autre ramage, sinon qu’il me rendroit immortel, si je le favorisois de quelque honnête récompense. Ah ! Dieu, le pauvre vendeur d’immortalité, m’écriai-je, sa marchandise n’est pas de bon aloi ; les vers qu’il a faits, il n’y a pas six ans, sont déjà au tombeau ! Si est-ce qu’il se vantoit qu’il n’y avoit que lui qui eût des griffes assez aiguës pour monter sur la croupe du Parnasse, me dit Clérante. Monsieur, lui repartis-je, quand nous mangeons quelque croûte de pain, il nous est avis que nous faisons un bien grand bruit ; mais il n’y a personne que nous qui l’entende. Ainsi en est-il de ce pauvre rimailleur ; ses œœuvres ne paroissent bruyantes qu’à ses oreilles : examinons sa pièce sans prendre garde au sujet dont elle traite, nous l’avons déjà condamné en cela.

Après ces paroles, je montrai à Clérante toutes les fautes de la satire, et lui promis que j’y répondrois, afin d’effacer les mauvaises impressions que les courtisans pourroient avoir de lui : d’un autre côté, il s’efforça de rendre menteurs tous ceux qui l’accuseroient désormais d’ignorance, et se donna deux heures le jour, pour être seul avec moi dans son cabinet, et y apprendre à discourir en compagnie, sur toute sorte de sujets, bien d’une autre façon que ne font la plupart de ceux de la cour, qui tiennent des propos sans ordre, sans jugement et sans politesse. À n’en point mentir, il avoit auparavant un peu haï les lettres, et même avoit blâmé quelques personnes qui s’y adonnoient, ne croyant pas que ce dût être l’occupation d’un homme noble. Mais je lui avois ôté cette imagination-là, en lui remontrant doucement que ceux qui veulent commander aux autres doivent avoir plus d’esprit, non pas plus de force, ainsi qu’entre les bêtes brutes. Au reste, pour se venger un peu du poëte, qui avoit médit de lui, il lui fit épousseter le dos à coups de bâton.

Sa bonne volonté s’augmentant de jour en jour envers moi, il fut curieux de s’enquérir des commodités que j’avois : je me fis encore plus pauvre que je n’étois en effet, afin de l’induire à m’assister, et je me vis incontinent prié de demeurer avec lui. Il m’offrit un appointement honnête, que j’acceptai, pourvu que j’eusse toujours ma franchise, et qu’encore que je