Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/242

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personne à quelqu’une, ils ne vous persuaderoient pas, comme ils font, d’éviter la paix : ils sçauroient les désolations qui arrivent en un combat ; l’un a les bras coupés, l’autre a la tête fendue, quelques-uns sont foulés aux pieds des chevaux, et la plupart meurent comme enragés. Je vous le représente d’autant que je ne crois pas que vous vous soyez trouvé non plus qu’eux en ces affaires-là : vous n’en êtes pas à blâmer pourtant ; car quelle gloire y a-t-il ? Le plus brave homme du monde est souvent jeté par terre avec un coup de mousquet qu’un coyon a tiré pour faire son apprentissage. Si César, Alexandre, Amadis et Charlemagne vivoient maintenant, ils n’iroient pas si volontiers au combat comme ils ont fait autrefois. Aussi leurs sujets, ayant affaire de leurs personnes, les empêcheroient de se mettre en un si grand hasard. Pour moi, j’aime mieux voir tuer des poulets que des hommes : retournons-nous-en à Paris faire bonne chère ; il vaut mieux voir des broches que des piques, des marmites que des timbres[1], et tous les ustensiles de cuisine que ceux de la guerre. Votre exercice est d’aller voir si le canon est bien placé, et si toutes les troupes sont bien campées ; mais, à la ville, vous irez voir les dames, avec qui vous prendrez des passe-temps bien plus aimables.

Encore que Clérante tournât en risée tout ce discours à l’heure, si est-ce que depuis il en fit son profit, comme d’un secret avertissement que lui donnoit le ciel par un homme qui, au milieu de sa frénésie, avoit des raisons aussi preignantes[2] que celles des plus profonds philosophes.

La paix étant faite, nous nous en revînmes à Paris, où Clérante, allant voir la belle et bien disante Luce, trouva en elle des charmes plus puissans que jamais, et, son humeur étant alors fort susceptible de passion, il devint éperdument amoureux d’elle ; si bien qu’il ne bougeoit plus presque de son logis. Il lui amena un jour Collinet, l’ayant fait mettre en ses goguettes par le moyen de deux ou trois verres d’un vin de singe[3], qu’il lui avoit fait boire.

  1. Cordes à boyau placées sous la caisse du tambour, et qui servent à en bander la peau.
  2. Pressantes.
  3. Vin qui fait gambader, mais non grimacer, comme on le pourrait croire.