Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/25

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<span class="coquille" title="ler">avaler[1] une échelle de corde par une fenêtre qui étoit un côté de la grande porte. L’un d’eux siffla un petit coup, et on lui répondit de même ; ils regardèrent tous en haut, et aperçurent une femme à la fenêtre, qu’ils prirent pour Catherine, encore que ce ne fût pas par ce lieu-là qu’elle leur avoit promis de les faire monter.

Il y en avoit un entre eux, appelé Olivier, qui, touché de quelque remords de conscience, s’étoit reconnu depuis peu de jours et avoit promis à Dieu en lui-même de quitter la mauvaise vie qu’il menoit ; mais ses compagnons, ayant affaire de son aide, parce qu’au reste il étoit fort courageux, ne l’avoient pas voulu laisser partir de leur compagnie, pour toutes les prières qu’il leur en avoit faites, et l’avoient menacé que, s’il s’en alloit sans leur congé auparavant que d’avoir assisté au vol du château, ils n’auroient point de repos qu’ils ne l’eussent mis à mort, quand ce devroit être par trahison. Comme il se vit au fait et au prendre, il dit derechef aux voleurs qu’ainsi qu’il ne vouloit point avoir sa part du butin qu’ils alloient faire, il ne désiroit pas avoir sa part de la peine et du péril. Néanmoins, lui ayant été reproché qu’il faisoit cela par crainte et par bassesse de courage, il fut contraint de monter tout le premier à l’échelle de corde, craignant que ses compagnons ne le tuassent.

Quand il fut sauté de la fenêtre dedans une chambre, il fut bien étonné de se voir embrasser amoureusement par une femme qui vint au devant de lui, et qui ne ressembloit en façon du monde a Catherine. C’étoit madame Laurette, qui le prenoit pour Francion, parmi l’épaisseur des ténèbres de la chambre, car elle avoit éteint la lumière.

Olivier, connoissant la bonne fortune qui lui étoit arrivée, songea qu’il étoit besoin d’empêcher que ses compagnons ne vinssent troubler ses délices. Il quitta donc soudain Laurette, pour obéir à la prière qu’elle lui faisoit d’ôter l’échelle ; et, trouvant qu’un de ses compagnons y étoit déjà attaché, il ne laissa pas de la tirer à soi jusqu’à la moitié, de la lier à un gond de la fenêtre, par l’endroit où il la tenoit. Le voleur jugeoit, au commencement, que, pour quelque occasion, il le vouloit ainsi lever jusqu’au haut, de sorte qu’il ne s’en don-

  1. Descendre.