Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre mari n’est pas céans, l’on me l’a appris quand je suis entré. Hélas ! s’écria-t-elle, vous êtes bien mauvais ; j’ai pensé parler avec gaillardise, pour vous faire trouver le temps moins long, et cependant vous usez de trahison envers moi. Ah ! Dieu, dit Clérante, les ordonnances dont vous m’avez tantôt parlé ne valent rien, car je vois qu’il est très-nécessaire d’avoir un juge en quelque combat que ce soit ; car, si nous en avions un, il seroit témoin oculaire, comme je ne vous trahis aucunement en ce combat-ci, et ne me sers d’aucune supercherie. Non, ma mignonne, continua-t-il, en lui maniant le téton, ce n’est pas trahison que de vous assaillir par-devant, et de commencer par ici. Nonobstant ces paroles, elle continua à lui résister, ce qui le convia à lui dire qu’elle avoit tort de lui refuser un bien qu’il sçavoit bien qu’elle avoit départi peu de jours auparavant à un joueur de cymbales. Vous ne me le pouvez nier, poursuivit-il, c’est un bon démon qui m’a rapporté ces nouvelles ; il m’a dit même que, ce qui vous induisit le plus à cette chose, c’étoit que vous vous imaginiez que l’affaire seroit extrêmement secrète. N’est-ce pas être d’une étrange humeur ? Vous vous plaisez à ceci, et il n’y a point de doute que vous croyez que ce n’est pas mal fait que de s’y occuper, et vous ne vous y voulez adonner que secrètement, que vous désirez même que celui qui est de la partie n’en sçache rien ; cela est fort difficile : contentez-vous de la promesse que je vous fais, de ne découvrir jamais rien de ce qui se passera entre nous deux.

Aimée fut bien étonnée d’entendre ce que Clérante sçavoit de ses amourettes, et crut qu’indubitablement il avoit un esprit familier. Songeant alors à sa bonne mine, à sa qualité et aux bienfaits qu’elle pouvoit recevoir de sa part, elle se résolut de ne lui être point rigoureuse ; toutefois elle lui dit encore : Vous m’accusez d’une faute que je n’ai point commise, ni ne veux point commettre à cette heure ; car ce que vous me demandez appartient à mon mari, j’ai promis de le lui garder. Vous recevrez plus de moi que je n’emporterai de vous, répondit Clérante : nous devons-nous fâcher, quand un autre ensemence notre terre de son grain propre ? Mon mari est consciencieux, repartit Aimée, il ne voudra pas retenir les fruits qui y seront produits. Eh bien, ma chère amie, dit Clérante, envoyez-les-moi, ils seront en bonne main.