Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/281

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ne lui fallut pas user de beaucoup de sermens pour lui mettre cela en sa fantaisie, car il avoit plus de vanité que pas un de notre siècle. Quand il passoit par la rue, il se tournoit de tous côtés pour voir si l’on le regardoit, et, si l’on jetoit les yeux sur lui, en s’étonnant quelquefois de sa mauvaise mine, il s’imaginoit que l’on entroit en admiration de la belle proportion de son corps ou de la richesse de ses habits ; si l’on disoit quelque mot sur un autre sujet, ne l’ayant entendu qu’à demi en passant, il le prenoit pour soi et l’expliquoit à son avantage. Quand il étoit regardé d’une fille, il croyoit fermement qu’elle étoit amoureuse de lui. On m’a dit qu’étant un jour entré dans la maison d’une dame, y trouvant un de ses amis qui la servoit, il en ressortit incontinent ; l’autre, l’ayant rencontré peu de jours après, lui demanda quelle rancune il avoit contre lui, pour ne vouloir pas demeurer aux lieux où il le trouvoit. Notre comte lui répondit : Vous expliquez très-mal mes actions ; je ne sortis de chez votre maîtresse que pour vous faire plaisir, ayant reconnu, par la louange qu’elle donna d’abord à ma chevelure bien frisée, qu’elle avoit plus d’affection pour moi que pour vous ; j’avois peur que ma présence ne l’empêchât de vous départir les faveurs que vous pouviez souhaiter. Ceux qui m’ont raconté l’histoire de ce vain personnage, qu’ils connoissoient bien, m’ont rapporté de lui une infinité de semblables sottises. La fille du médecin, sans le pratiquer, remarqua dans peu de temps de quelle humeur il étoit. Toujours les fenêtres de sa chambre étoient ouvertes, lorsqu’il faisoit quelque chose, afin que l’on pût s’apercevoir de sa somptuosité, comme vous pourrez dire quand on lui essayoit quelque habit neuf ; et, quand il prenoit ses repas, les plats étoient toujours quelque temps sur la fenêtre, afin que l’on vît qu’il faisoit bonne chère. Cela fut cause qu’elle le prit plutôt en haine qu’en amour, et qu’elle conta toutes ses sottises à quelques-unes de ses plus grandes amies, qui vinrent un soir dedans sa chambre pour avoir leur plaisir des simagrées de son badin de serviteur, qui se mit à la fenêtre aussitôt qu’il la vit à la sienne. De fortune il y avoit avec lui un gentilhomme qui touchoit fort bien un luth ; il le pria d’en prendre un, et le fit cacher derrière lui, pour jouer quelques pièces dessus, tandis qu’il en tiendroit un