Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/283

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fort. Il trouva prou de bélîtres en délibération d’endurer que l’on les pansât de leurs maux, et choisit entre eux celui qui lui plut davantage. La chose se passa comme il se l’étoit figuré ; car l’espoir du gain, et l’occasion de prendre l’air, contraignirent le médecin à quitter sa maison ; c’étoit à la servante à jouer son rollet de sa part. Elle dit à sa maîtresse : Vous avez tort, mademoiselle, quant à cela, de ne faire point de cas de ce beau monsieur, qui vous regarde tous les jours si piteusement ; eh ! que sçavez-vous s’il ne s’accordera pas à vous épouser, encore qu’il soit plus riche que vous n’êtes ? Possible voudroit-il bien vous tenir toute breneuse[1], en peine de vous torcher le cul. Permettez-lui qu’il vous entretienne en l’absence de monsieur ; vous verrez ce qu’il a dans le ventre. La maîtresse, voulant tirer du plaisir du comte, ne cria pas cette fille à cette fois-ci, mais lui assura qu’elle ne seroit pas fâchée d’avoir la conversation de son amant. La servante lui fit donc sçavoir cela par son laquais, et le voilà en un moment arrivé au logis de sa dame, qu’il trouva en la compagnie de celles qui l’avoient vu se pâmer. Après les paroles de courtoisie, ils vinrent à d’autres qui ne lui plurent guère, parce que l’on lui donnoit toujours quelque plaisant trait, auquel il ne pouvoit pas répondre. Notez que, quand il devoit aller en compagnie, il apprenoit par cœœur quelque discours qu’il tiroit de quelque livre, et le récitoit, encore que l’on ne tombât aucunement sur ce sujet ; ce qui le rendoit fort ennuyeux. Je vous laisse à juger s’il avoit manqué de feuilleter tous les livres d’amour de la France, pour y recueillir de belles fleurs oratoires, et si l’on ne connoissoit pas bien à ses discours qu’il avoit lu Nervèze[2] ; mais néanmoins il demeura court presque toujours, lorsqu’on le mit en une matière sur laquelle il n’avoit point auparavant fait de recherche. Quant est de sa passion, il n’eut pas le moyen d’en parler beaucoup à sa maîtresse, et jamais il ne put avoir d’elle que des réponses fort froides ; tellement que la peine qu’il avoit prise à éloigner son père fut quasi entièrement perdue. Peu de jours après, le méde-

  1. Souillée, pour ne pas dire plus.
  2. Selon l’Estoile, les vers d’Antoine de Nervèze se vendaient deux sous sur les quais. Il traite de « niaiserie » les Poésies spirituelles de cet auteur.