Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/294

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voulut mettre en bateau, disant qu’il s’en vouloit retourner à la fraîcheur ; nous nous y mîmes avec lui, ayant commandé à nos laquais de ramener nos chevaux à Paris. Quand il fut à moitié chemin, il commença à se lever tout droit dans le bateau, en s’écriant : Ah ! que j’ai de regret d’avoir tant attendu à tirer satisfaction de l’injure que vous m’avez faite ! je ne veux plus de délai : battons-nous, il y a ici assez d’espace ; celui qui sera tué, l’on jettera son corps dans la rivière, si bien que l’affaire sera cachée. Il n’est rien de si commode pour éviter les poursuites de la justice. En disant cela, il tira son épée du fourreau, croyant que j’en dusse faire de même ; mais Montespin, qui étoit celui qui l’accompagnoit, lui retenant le bras, lui dit : À quoi songez-vous, cher ami ? Où vit-on jamais une procédure pareille à la vôtre ? Si l’on sçavoit ce que vous venez de faire, ne le prendroit-on pas pour une folie ? Ayez patience, nous ne sommes pas ici en lieu pour faire des duels. Ces paroles le firent tenir coi, et nonobstant il ne laissa pas de vouloir témoigner le désir qu’il avoit de se battre ; mais, ma foi, je connoissois évidemment qu’il n’en avoit pas tant d’envie que l’on diroit bien. Il étoit de l’humeur de ces duellistes du siècle, qui n’ont que de la furie en leurs discours et fort peu de résolution en leur âme. De cent qui se sont battus depuis deux ans, dont la plupart ont été tués, je m’assure qu’il n’y en a pas eu quatre qui se soient portés sur le pré avec une vraie générosité. Je vous en nommerois bien qui ont dansé, chanté et fait mille gaillardises auparavant que d’aller au combat, lesquels n’avoient point pour tout de hardiesse. Ce n’étoit que pour se divertir, et ne songer point au péril prochain, ce qu’ils en faisoient. Bajamond en étoit de même, et, quand nous fûmes à Paris, ayant trouvé nos chevaux auprès de l’Arsenac[1], il voulut que nous allassions ensemble souper chez Montespin. Il fit mille folies à table, but à moi, et dit la chanson ; mais certainement il ressembloit à ces enfans qui chantent quand ils sont en un lieu obscur, pour charmer leur crainte. Afin de témoigner sa valeur tout outre, et montrer qu’en un seul jour il vouloit faire ce que tous les braves de la cour ne s’étoient jamais imaginé, il rentre en son extravagance, et, prenant son épée,

  1. Balzac et Ménage écrivent aussi arsenac pour arsenal.