Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/295

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me dit : Si vous avez du courage, montrez-le-moi ; il faut maintenant vider notre querelle ; allons dans la cour de cette maison, elle est assez grande pour notre combat. Je ferai tout ce que vous voudrez, lui dis-je ; je ne veux pas que vous croyiez que je refuse de me battre, soit de nuit, soit de jour ; il n’y aura pas plus d’avantage pour l’un que pour l’autre : faites donc allumer des flambeaux. Montespin vint, là-dessus, nous dire qu’il n’endureroit jamais que nous nous battissions ainsi à une telle heure, et que les vaillans devoient avoir le soleil pour témoin de leurs glorieux faits, et qu’il n’y avoit que les larrons et les scélérats qui missent la main à l’épée la nuit, et qu’outre cela les flambeaux ne nous pourroient pas assez éclairer en notre entreprise. Bajamond répondit qu’il s’étoit bien trouvé un soir en une compagnie où deux gentilshommes avoient fait une partie à la paume, et qu’ils avoient été la jouer aux flambeaux dans le tripot de la Sphère, et que l’on ne devoit pas avoir moins d’impatience pour un duel. Montespin lui remontra qu’encore que nous fussions chez lui nous devions chacun craindre de la trahison ; que les laquais qui tiendroient les flambeaux les pourroient éteindre ou les porter tous en un moment de quelque côté où ils n’éclaireroient qu’à celui qu’ils voudroient favoriser, et que davantage on pourroit venir frapper l’un de nous deux par derrière sans qu’il s’en doutât. Ces raisons calmèrent la boutade de Bajamond fort facilement ; car tout ceci n’étoit que feinte, et, s’il eût sçu qu’on l’eût laissé battre ainsi, il n’en eût jamais parlé. Il ne faisoit toutes ces rodomontades que par une certaine coutume qu’il avoit prise depuis peu de temps qu’il avoit été à l’école des coups d’épée ; et, quand il parloit le plus haut, c’étoit lorsque son cœœur lui battoit le plus fort. En effet, il ne parloit du combat que parce qu’il y étoit contraint, et tâchoit à m’étonner par sa feinte assurance. Enfin Montespin nous fit coucher en des lits qu’il nous avoit fait préparer, et, le matin étant venu, il nous voulut mettre d’accord, disant que ce seroit dommage si nous nous donnions la mort pour un néant. Je n’avois pas envie que cela se passât ainsi ; tellement que je le quittai, et que je dis à Bajamond : Allons-nous en chercher celui que vous sçavez, pour accorder notre différend. Il me suivit, sans sçavoir ce que je voulois dire ; et alors je lui proposai de nous en retourner vers le lieu où nous avions