Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/302

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de farces. Puisque le ris n’est propre qu’à l’homme entre tous les animaux, je ne pense pas qu’il lui ait été donné sans sujet, et qu’il lui soit défendu de rire ni de faire rire les autres. Il est bien vrai que mon premier dessein n’a pas été de rendre ce contentement vulgaire, ni de donner du plaisir à une infinité de personnes que je ne connois point, qui pourront lire mon Histoire comique, aujourd’hui qu’elle est imprimée, et ce n’étoit qu’une chose particulière pour plaire à mes amis ; car je considérois que tout le monde n’estime pas les railleries, ne sçachant pas qu’il n’est rien de plus difficile que d’y réussir ; et, outre cela, je me fâchois fort de voir qu’au lieu que les choses sérieuses ne sont lues que des hommes doctes, les bouffonnes sont principalement lues des ignorans, et qu’il n’y a si petit valet de boutique qui ne coure après. Néanmoins, des personnes de si bon esprit m’ont conseillé de mettre ceci au jour, qu’enfin je me suis rendu à leurs persuasions, et j’ai cru que mon livre pourroit bien autant plaire aux sages du monde comme au peuple, encore que leurs avis soient différens d’ordinaire, puisqu’il étoit approuvé de ceux-ci, qui étoient des plus passionnés amans de la sagesse. Il m’a fallu confesser avec eux que j’avois mêlé l’utile avec l’agréable, et qu’en me moquant des vicieux je les avois si bien repris qu’il y avoit quelque espérance que cela leur donneroit du désir de se corriger, étant honteux de leurs actions passées. Mais il se peut bien faire que nous nous soyons flattés, et que nous ayons eu trop bonne opinion de mon ouvrage et du naturel des hommes. Ils n’ont pas tous deux assez de force, l’un pour se faire croire, l’autre pour suivre les remontrances, et je sçais bien qu’il y a des gens si stupides, qu’ils ne profiteront point en ceci, et croiront que tous mes discours sont faits seulement pour leur donner du plaisir, et non pas pour corriger leurs mauvaises humeurs. C’est pourquoi l’on me dira que, pour obvier à tout, il m’étoit facile de reprendre les vices sérieusement, afin d’émouvoir plutôt les méchans à la repentance qu’à la risée ; mais il y a une chose qui m’a empêché de tenir cette voie, c’est qu’il faut user d’un certain appât pour attirer le monde. Il est besoin que j’imite les apothicaires, qui sucrent par le dessus les breuvages amers, afin de les mieux faire avaler. Une satire dont l’apparence eût été farouche •eût diverti les hommes de sa lecture, par son seul titre. Je