Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/324

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beaux, elle eut pour lui toute la passion qu’elle eût sçu avoir si elle eût vu sa vraie personne ; parce que même l’on lui avoit fait un ample récit de sa vertu, de sa belle humeur et de toutes les gentillesses de son esprit. Pour trouver du remède en son mal, elle me le découvrit librement, comme à son bon parent et ami. Je lui donnai bon courage et bonne espérance, et, suivant mon conseil, elle se fit peindre au tableau que vous avez, afin de le faire porter à Floriandre, pour le convier à la rechercher en mariage. Il y avoit longtemps que j’avois envie de voir ce royaume-ci : voilà pourquoi je m’offris librement à la servir en cette affaire, où personne ne la pouvoit mieux secourir que moi. Dès que j’ai été arrivé à la cour, je m’y suis donné la connoissance de mon homme, que j’ai trouvé d’une humeur fort douce et fort sujette à l’amour, ce qui m’assuroit que je gagnerois aisément sa bonne volonté pour Nays. Je m’étois délibéré de lui conter ses richesses et la noblesse de sa race, après lui avoir montré sa beauté, et de lui dire l’extrême affection qu’elle avoit conçue pour lui, malgré leur grand éloignement. Mais je changeai un peu de dessein, voyant qu’il lui prit une certaine petite indisposition pour laquelle les médecins lui conseilloient de s’en aller boire de certaines eaux qui sont en un village sur le tiers du chemin de notre pays. Je mandai à ma parente qu’elle cherchât la commodité de s’y en venir, parce qu’elle auroit là bon moyen de l’attirer dans ses filets : je ne sçais si elle se sera mise en devoir de s’y trouver ; mais, si elle le fait, elle y perdra ses peines, parce que Floriandre est mort depuis quelque temps. Je lui en ai écrit des nouvelles ; c’est à sçavoir si elle les recevra, et si elle ne sera point partie lorsqu’elles seront à sa demeure ordinaire. Il faudra que je m’en retourne bientôt pour l’aller consoler. Ah ! je vous assure, dit alors Francion, que je veux l’aller trouver en quelque lieu qu’elle puisse être : une si rare beauté mérite bien que je fasse un voyage pour la voir ; j’ai toujours aimé toutes les femmes aimables que j’ai vues, et celles dont j’ai ouï seulement parler. Il ne faut pas maintenant que je déroge à ma louable humeur. Au reste, il y a longtemps que j’ai désir de voir l’Italie, ce beau jardin du monde ; j’aurai une belle occasion d’y voyager. Premièrement, je m’en irai aux eaux pour tâcher d’y rencontrer Nays ; et vous, Dorini, ne voulez-vous pas prendre