Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/330

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Ne faites rien, m’amie, en votre premier mouvement, lui dis-je avec un souris, vous vous en repentiriez après. Ne te soucie point, vilain, me dit-elle, je n’ai que faire de toi, je ne chômerai point d’homme, j’en trouverai assez d’autres plus vigoureux. Dites-moi, monsieur, si vous ouïtes jamais parler d’une telle impudence ? Cependant je le souffris sans la frapper, et je pense que, si sa colère ne se fût point apaisée, j’eusse aussi enduré qu’elle m’eût rendu eunuque. La menace qu’elle m’avoit plusieurs fois faite de prendre un ami fut exécutée : elle choisit ce jeune galoureau-ci[1] pour la servir à couvert. Mais, bon Dieu, fut-il jamais une misère pareille ! je porte bien la folle enchère de tout. Au lieu que les amoureux ont accoutumé de donner quelque chose à leurs dames, celui-ci, qui n’est qu’un gueux, voulut que ma femme lui fît beaucoup de présens pour le payer du plaisir qu’elle prenoit avec lui. Elle lui baille de quoi se nourrir et de quoi se vêtir ; j’ai même remarqué plusieurs fois dessus lui de mes vieilles besognes. S’il y a dans ma cuisine quelque bon morceau que je garde pour mes hôtes, le galant en refait son nez, comme s’il falloit que je lui donnasse du salaire pour avoir fourbi cette gaupe, et que je l’en payasse ainsi qu’un manouvrier qui viendroit ici travailler à la tâche ou à la journée pour faire quelque besogne nécessaire à la maison. Lorsque j’eus quelque doute qu’il la voyoit trop familièrement, j’en voulus être fait certain, et, ayant fait semblant de m’en aller bien loin aux champs, je revins secrètement par notre porte de derrière : je me fourrai dans un privé qui est ici contre, ayant sçu qu’ils étoient ensemble en ce lieu-ci ; j’entendois la plupart de leurs propos, qui petit à petit se rendoient plus amoureux et commençoient à me déplaire grandement. J’en eusse bien oui davantage, pour être entièrement satisfait ; mais il m’avint un grand malheur : une défluxion qui m’étoit tombée sur le poumon m’avoit rendu si enrhumé, qu’il falloit à tous coups que je toussasse, comme si j’eusse avalé un boisseau de plumes. Il m’en prit une envie si grande, que je ne sçavois comment faire, sinon que je retenois mon vent le plus qu’il m’étoit possible. Enfin, je m’avisai qu’il falloit que je passasse ma tête par le trou du privé, pour tousser dedans, et que l’on ne

  1. Godelureau.