Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/331

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m’entendroit pas. Quand je l’eus mise dans ce gouffre, je toussai plus de huit fois du profond de l’estomac tout à mon aise, et je m’efforçai de tousser encore d’autres fois, afin de jeter mes flegmes dehors tout d’un coup ; car j’étois fort pituiteux (c’est un mot que m’a appris notre apothicaire). Il faut que je vous dise, en passant, que je prenois du plaisir à cela ; car ma voix résonnoit en ces lieux souterrains, et, encore qu’elle allât frapper en un lieu bien mol, je ne laissois pas d’entendre un écho aussi bien qu’auprès de la montagne qui est à un quart de lieue d’ici. Mais, ô l’accident sinistre ! quand je pensai retirer ma tête du trou, il me fut impossible. Elle n’y étoit entrée qu’à force, il n’y avoit pas de moyen qu’elle en ressortît ; mon menton l’arrêtoit ainsi qu’un crochet, et j’étois là comme à la gêne. Ah ! que si quelqu’un fût entré alors, il m’eût bien fait du mal, auparavant que j’eusse pu me défendre ! Que ce seroit une belle invention, de mettre ainsi les malfaiteurs, pour leur bailler le fouet ! Je tirai de toute ma force ; mais, au lieu de ravoir ma tête, les secousses que je donnai furent si grandes que j’arrachai le siége hors de sa place ; car cette maison-ci est vieille, et tout y est à demi rompu. Ainsi j’étois à moitié en liberté, et au moins n’étois-je plus contraint de demeurer attaché en un lieu ; mais je portois ma prison avec moi. Je tâchai encore d’ôter cette planche d’autour de mon col avec mes mains, mais je n’en pus venir à bout, et j’avois quasi envie de rire de me voir si bien paré avec cette nouvelle façon de fraise à l’espagnole. Toutefois j’avois bien peur que ma mauvaise femme ne me trouvât en cet état ; elle se fût bien moquée de moi. Voyant donc que je ne pouvois me délivrer moi seul, mon recours fut de sortir vitement de céans sans faire du bruit, et de m’en aller jusque chez mon compère le menuisier, qui demeure au bout de notre rue, afin de faire scier cette planche. Je fus si fortuné, que je rencontrai des villageois dans la rue, qui se mirent à courir après moi comme après un fol, et ne me laissèrent point que je ne fusse au lieu où je voulois aller. Ce fut là que je fus délivré de mon carcan ; mais on ne laissa pas de publier ceci par tout ce pays, car mon compère ne fut pas secret, tellement que les enfans en vont aujourd’hui à la moutarde[1]. Ce qui

  1. Locution proverbiale. « On le dit d’une chose qui étoit secrète et qui est devenue publique. » Dict. de Richelet.