Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/365

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faire, à cause qu’elle avoit deux autres amans bien importuns qui l’en empêchoient, et principalement un François qu’il falloit craindre ; d’autant qu’ils étoient encore sur les terres de sa patrie, où il avoit des amis et du pouvoir ; que nonobstant elle étoit résolue de lui donner quelques heures pour le voir, et qu’il devoit venir au soir en cachette, avec un habit pareil à celui de ses estafiers. Ayant dit cela à celui-ci, il s’en alla en dire tout autant à Ergaste ; de sorte qu’ils s’habillèrent tous deux comme on leur avoit enjoint, croyant que cela fût grandement nécessaire pour n’être point reconnus. Valère vint le premier à la maison de Nays, et, comme il heurtoit encore, Ergaste y arriva aussi, lequel, le prenant pour un valet, lui demanda si sa maîtresse étoit couchée. L’autre répondit un peu arrogamment qu’il n’en sçavoit rien, ce que Ergaste ne put endurer ; il lui dit quelque injure qui le mit en fougue, si bien qu’ils commencèrent à se battre à coups de poings. Sur ces entrefaites, l’on vint à la porte avec de la chandelle, à la clarté de laquelle, se reconnaissant l’un l’autre, ils demeurèrent les plus ébahis du monde, et, tout honteux, s’en retournèrent en leurs maisons par divers endroits. S’étant rencontrés le jour suivant, ils eurent la curiosité de se demander pourquoi ils s’étoient déguisés, d’autant qu’ils ne se pouvoient celer l’un à l’autre qu’ils étoient infiniment amoureux de Nays, et qu’ils faisoient tout ce qu’ils pouvoient pour acquérir sa bienveillance ; ils se contèrent l’un à l’autre ce que l’on leur étoit venu dire, et reconnurent que l’on avoit voulu se moquer d’eux ; ils envoyèrent quérir le valet qui leur avoit fait le message et le conjurèrent de leur apprendre pourquoi il leur avoit dit à tous deux une même chose. Voyant qu’ils ne pouvoient tirer de lui que des réponses fort peu vraisemblables, ils lui promirent une si grande récompense, qu’attiré d’ailleurs par l’amitié qu’il portoit à ceux de son pays il leur découvrit qu’il n’avoit rien fait que par le conseil de Francion. À cette nouvelle, ils se résolurent de prendre leur revanche et de donner à notre François un trait de leur subtilité, la première fois que l’occasion s’en offriroit. Ils se firent amis, afin d’avoir meilleur moyen de nuire à leur commun et dangereux ennemi, et se proposèrent de songer à leurs amours lorsqu’ils se seroient défaits de sa personne.