Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/366

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Nays, qui reconnaissoit la mauvaise volonté qu’ils avoient pour celui qu’elle aimoit, craignant qu’il n’en advînt quelque malheur, ne lui vouloit pas départir la moindre faveur du monde, et ne parloit plus à lui que lorsqu’elle y étoit forcée. Il s’en irrite tout à fait, se figurant qu’elle le dédaigne, et lui fait tenir force poulets par ses servantes, lesquelles lui assurent, à la fin, que leur maîtresse leur a enchargé de lui dire qu’elle ne désire pas qu’il lui envoie dorénavant de tels messages. Il accoste un jour privément celle qui lui vouloit plus de bien, et la conjure en toutes sortes de façons de lui dire le sujet de la rigueur de Nays. Elle s’accorde à le lui découvrir, pourvu qu’il lui promette de garder le secret. Lui ayant fait faire tous les juremens qu’elle voulut, elle lui dit que sa maîtresse, redoutant les entreprises dangereuses de ses rivaux, ne lui vouloit point faire paroître l’affection qu’elle avoit pour lui, qu’elle ne fût hors de ces lieux inconnus, et qu’elle ne se vît sur ses terres, où elle le pourroit mettre à l’abri de toute sorte d’accidens. Cette douce nouvelle lui apporta un contentement tel, que l’on se peut imaginer, et, pour sa consolation, il commença de nourrir en son âme un grand espoir, au déçu de sa maîtresse, qui le vouloit faire languir un petit, pour lui rendre après ses faveurs de beaucoup plus précieuses. Quand ils furent en pleine Italie, Valère et Ergaste pensèrent qu’ils trouveroient bien moyen de l’attraper ; comme, de fait, il leur fut assez facile. Ils lui firent de grandes caresses, et ne parlèrent plus à lui qu’avec des complimens les plus honnêtes du monde. Si son esprit n’eût été alors occupé entièrement aux rêveries de son amour, qui l’empêchoient de songer à autre chose, il eût bien pu juger que ce traitement extraordinaire ne procédoit que d’une envie qu’ils avoient de l’attirer dans quelques piéges. Ne pouvant donc jouir de sa prudence accoutumée, il ne se donnoit point garde d’eux, et croyoit qu’il ne s’en fallut guère qu’ils n’eussent au cœœur autant de bonne volonté pour lui qu’ils témoignoient en avoir par leurs paroles. Il se trouve souvent en leur compagnie pour se divertir, puisqu’il n’osoit plus accoster Nays, et il les va même chercher jusques aux lieux où ils se logent.

Un matin il se rencontra avec eux devant la maison où avoit couché Nays ; un gentilhomme vint accoster Ergaste