Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consolation. Le laboureur plaignit beaucoup son berger, qui étoit exposé aux fureurs de ces mauvais démons, et le lendemain s’enquit bien particulièrement de lui, quels tourmens il avoit endurés. Il en inventa un bon nombre, qui tirèrent presque les larmes des yeux de toute la famille. Quant est de son amante, elle étoit en doute si c’étoient des esprits ou des créatures vivantes qui l’avoient fessée par son conseil. À la fin, elle crut que tout étoit provenu de sa malice, parce qu’elle remarquoit en lui un grand changement de la bonne humeur où elle l’avoit vu la dernière fois, qu’il s’étoit accordé à la rendre contente. Il ne lui prêchoit plus rien que la chasteté et l’honneur, et l’admonestoit d’être plus fidèle à son mari qu’elle n’avoit été. Il lui étoit bien force de suivre ses enseignemens, mais elle ne manquoit pas de volonté de les outre-passer.

Depuis ce temps-là, vu l’opinion que l’on a ordinairement des bergers, l’on crut que Francion étoit magicien, et qu’il avoit communication avec les démons. Beaucoup de fois des paysans l’avoient trouvé, comme il parloit tout seul en composant des vers, et, parce qu’il disoit des paroles poétiques, où ils ne pouvoient rien entendre, ils s’étoient imaginé qu’il discouroit avec quelque esprit invisible. Il parloit fort peu à ces brutales gens, sinon quand il avoit envie de rire : tellement qu’on attribuoit sa solitude à la coutume d’un damnable métier. L’on le voyoit expert en beaucoup de choses qui n’étoient pas communes aux villages. Une fois, oyant parler à des prêtres de quelques choses hautes, il en avoit dit sa râtelée ; ce qui avoit causé de l’admiration : cela faisoit croire que le diable avoit été son pédagogue. Par la magie naturelle il faisoit beaucoup de galanteries, et guérissoit des malades si miraculeusement, que l’on ne se pouvoit figurer qu’il n’y eût de la sorcellerie en son fait. Davantage l’on crut bien qu’il avoit la science de prédire l’avenir et de deviner toutes choses. Une fois, étant en une compagnie de filles de village et de quelques rustres, ayant fait quelques simagrées inutiles, pour se donner de l’autorité, il dit : Je m’en vais gager maintenant que je reconnoîtrai bien celle qui n’est pas pucelle. Il y en eut une alors qui repartit : Votre science est ici employée en vain ; car vous avez beau dire, il n’y en a pas une ici qui ait perdu son honneur. En disant ceci il y eut quelque changement en son visage qui fut