Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/381

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remarqué de Francion, et outre cela cette promptitude dont elle tâchoit de lui persuader de ne point chercher celle qui n’étoit pas chaste lui donna opinion qu’elle ne l’étoit pas. Voilà pourquoi il dit qu’il vouloit accomplir son premier dessein, mais que, de peur de scandale, il ne vouloit pas donner à connoître à tout le monde celle qui avoit perdu son pucelage, et qu’il n’en parleroit qu’à un sien ami qui étoit en ce lieu. Il s’en alla donc dire à l’oreille de celui-là : J’ai trouvé par mon art que celle qui a péché par fornication de toutes ces filles, c’est celle qui a parlé à moi la dernière. Je ne pense pas que cela soit, répondit l’autre. Il n’y a qu’elle et celui avec qui elle a commis la faute qui vous en puissent rendre plus certain, reprit Francion ; mais croyez-moi autant comme eux. Le reste de la troupe ne sçut pas ce qu’il avoit dit, jusques à huit jours après, que la fille fut mariée à un jardinier du village. Comme elle fut au lit, elle sentit une petite tranchée, au fort de laquelle elle accoucha d’un bel enfant. Ce fut à cette heure-là que celui qui sçavoit la prophétie de Francion la publia comme un miracle, qui lui donna un très-grand crédit. L’on peut bien croire que l’on ne fit pas moins d’admiration de son sçavoir que l’on fit de risées de l’aventure des nouveaux mariés ; mais ce qui fit trouver que l’affaire étoit moins mauvaise que l’on avoit pensé fut que le marié avoua que l’enfant étoit de son fait, et que sa femme n’avoit voulu prendre un mari qu’à l’épreuve ; parce qu’ayant vu un échantillon de la marchandise elle pourroit voir si elle étoit bonne ; et, si elle ne lui plaisoit, elle la pouvoit librement laisser, étant quitte seulement pour les arrhes. On ajouta à cette considération qu’il y avoit longtemps qu’elle étoit en âge de faire l’amour, et que la fille est un arbre qui veut être hoché, même auparavant que ses fruits soient mûrs. Aussi, dès le matin, Francion, qui se doutoit un peu de ce qui en étoit, alloit chantant ceci sur l’air d’un vaudeville :

Puisqu’on voit des œœillets nouveaux
Fleurir avec des traits si beaux,
Sur le teint de notre épousée,
À qui pourra-t-elle nier,
Que son mari, bon jardinier,
Ne l’ait déjà bien arrosée ?

Il y en eut qui dirent assez plaisamment que le marié étoit