Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/384

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Voilà comme elle argumentoit ; mais elle ne pouvoit découvrir pas un nid de tous ceux où il se retiroit ; car il avoit coutume de faire ses affaires le plus secrètement du monde. Un soir elle s’approcha donc tout bellement d’une saussaye, où il s’étoit couché pour composer des vers, sur une jouissance qu’il commençoit ainsi :

Ah ! ma Cloris, que j’ai d’aise,
Maintenant que je te baise !

Il répétoit souvent cela à haute voix, ne pouvant trouver la fin qu’il falloit mettre à la stance. Sa maîtresse, s’imaginant qu’il parloit à quelque fille qu’il tenoit entre ses bras, écarquilla ses yeux autant qu’il lui fut possible pour sçavoir qui étoit cette bienheureuse ; mais, n’apercevant personne auprès de lui, et lui voyant toutefois étendre ses bras, au souvenir de quelques délices passées, elle eut une pensée qui mérite bien d’être écrite. Le dimanche dernier elle avoit ouï dire à son curé qu’il y avoit des magiciens qui couchoient avec des diables transformés en femmes que l’on appeloit des succubes : incontinent elle songea qu’il falloit que Francion eût alors avec lui une de ces belles maîtresses-là, vu qu’il continuoit à dire des paroles bien plus amoureuses que les premières, et où il exprimoit naïvement tout ce que l’on pourroit dire en jouissant d’une beauté.

Depuis elle perdit le soin d’apprendre avec quelle femme il apaisoit les désirs de sa jeunesse, et ne le regarda plus qu’avec de la frayeur, croyant qu’il eût toujours quelque démon à sa queue. Car même elle se figuroit alors que c’étoit son succube qui l’avoit fouettée lorsqu’elle avoit eu envie d’aller coucher avec lui.

Passe pour toutes ces dernières galanteries ; elles ont même été faites pour punir les vices. Il avoit bien fait de fouetter cette lubrique paysanne, qui oublioit la foi qu’elle avoit promise à un autre, et qui lui vouloit faire commettre adultère. Il est vrai que c’étoit qu’elle lui déplaisoit et qu’elle n’étoit pas fort charmante ; mais ne regardons point tant à la cause ; l’effet en fut toujours bon. Pour ce qui est des subtilités qui le rendoient admirable, elles ne tendoient aussi qu’à se moquer de ceux qui avoient failli et à faire reconnoître