Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/430

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latan qu’ils vouloient avoir le salaire de leur peine. Il leur dit qu’il n’avoit point reçu d’argent, et là-dessus ils contestèrent si bien, qu’ils se mirent à le battre et lui eussent cassé la tête, si les voisins ne les eussent séparés. Je ne sçais comment il en a été de l’arracheur de dents, mais, pour Hortensius, ce fut un plaisir des gausseries que l’on lui dit depuis touchant cette aventure.

Il n’a pas sçu que j’avois été mêlé en cette affaire, tellement que, l’ayant un jour rencontré par Paris, il m’aborda et me fit des plaintes sur ce qu’il ne me voyoit plus. Je lui dis que j’avois fait quelque petit voyage, mais que j’étois près d’en faire un grand, et que je m’en voulois aller en Italie. Ce voyage lui plut tellement, qu’il le voulut faire avec moi, quittant toutes ses prétentions qu’il avoit en France. Il croyoit qu’y ayant ici tout plein de prélats les lettres y ont plus de vogue qu’à Paris, et que l’on y fera plus d’estime de lui. Pour moi, qui ne suis pas si remuant que l’Écluse, j’ai toujours vécu en paix avec lui pendant le chemin, et ne me suis point ri de ses extravagances. Au contraire, je le reprends modestement de ses fautes, et principalement j’essaye à lui faire quitter l’humeur pédantesque et les petites rubriques latines dont il entremêle tous ses discours.

Audebert ayant ainsi fini l’histoire d’Hortensius, Francion le pria de lui assurer, quand il le verroit, qu’il faisoit beaucoup d’estime de lui, afin qu’il le vînt librement visiter et qu’ils en eussent du passe-temps. Raymond et Dorini eurent aussi un grand désir de voir un si rare personnage, tellement qu’il fallut qu’Audebert leur promît de le leur amener le plus tôt qu’il pourroit. Ils avoient tous dessein d’en prendre leur plaisir, ainsi qu’ils avoient déjà fait ; en quoi il n’y avoit rien que l’on pût condamner. Tout ce que nous verrons qui se fit depuis sert ainsi à se moquer de l’impertinence de quelques personnes sottes et présomptueuses, et il n’y aura plus rien ici qui offense les plus scrupuleux. L’on ne verra plus que des fourbes en toute cette histoire, où les plus fins seront trompés, après en avoir trompé beaucoup d’autres, pour apprendre à ne mépriser personne et à mener une vie moins licencieuse.