Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/445

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leurs affaires le permettroient. Francion, dès le lendemain, dépêcha un courrier, avec des lettres adressantes à sa mère, pour l’avertir de ces bonnes nouvelles ; et, n’ayant plus aucun souci qui lui rongeât l’esprit, il ne songea plus qu’à passer joyeusement le temps et à le faire passer de même à sa maîtresse. Il fit des courses de bague, il dansa des ballets, il donna des collations, et partout il se montra si magnifique, qu’il charma le cœœur de tous les Italiens. Les beaux esprits de Rome l’alloient visiter : l’on ne faisoit plus de vers que pour lui ou pour sa maîtresse, mais ils ne valoient pas ceux qu’il faisoit lui-même. Hortensius en composoit aussi, et lui donnoit une infinité de louanges. Or, entre autres choses, il fit des acrostiches et des anagrammes, comme étant chose fort propre à son génie pédantesque. Il fit aussi des vers, où il équivoqua en plusieurs manières dessus son nom. Il lui dit qu’il s’appeloit Francion, parce qu’il étoit rempli de franchise et qu’il étoit le plus brave de tous les François ; que, si l’on décrivoit son histoire, l’on l’appelleroit la Franciade, et qu’elle vaudroit bien celle[1] de Ronsard ; et que, si Francion[2], fils d’Hector, étoit le père commun des François, le Francion de ce siècle étoit leur protecteur et se montroit capable de leur donner d’excellens conseils. Francion lui demanda s’il voudroit bien lui faire l’honneur de mettre par ordre ses aventures, et qu’il lui en donneroit des mémoires ; mais il lui répondit qu’il lui laisseroit cette charge, et qu’il n’y avoit personne qui pût écrire plus naïvement que lui ce qui lui étoit arrivé. Quelque temps après, se trouvant seul avec Raymond, il lui récita la réponse d’Hortensius. Raymond la trouva très à propos, et lui demanda s’il ne vouloit point quelque jour se donner la peine de faire son histoire, qui étoit si digne d’être sçue, et s’il ne désiroit point outre cela faire voir au public, sous son nom, tant de beaux ouvrages qu’il avoit composés. Je n’en ai pas tant fait que vous croyez, lui dit-il ; si l’on vous a autrefois montré quelque chose comme venant de moi, c’étoit une imposture. Mais, au reste, quel plaisir aurois-je à

  1. Poëme épique en vers de dix syllabes et accompagné d’une longue Préface touchant le poëme héroïque.
  2. Ou Francus, héros romanesque qu’on a supposé fils ou petit-fils d’Hector et avoir donné l’origine aux Français.