Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/450

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je ne souffrirois pas pourtant que mon nom fût écrit au frontispice des premières feuilles, ni aux affiches que l’on colle par la ville ; car ce n’est pas mon humeur d’être bien aise que mon nom aille affliger tous les dimanches les portes des églises et les piliers du coin des rues ; et je ne ferois pas gloire de le voir là attaché avec celui des comédiens et des panseurs de vérole et de hergnes[1]. Je ne doute point que plusieurs, voyant l’opiniâtreté que j’ai à me cacher, n’en aient une aussi grande à s’enquérir de mon nom, et qu’ils ne prient instamment les libraires de le dire : c’est pourquoi il faut que je les renvoie avec une brusque réponse à la laconienne. Je ne leur veux dire autre chose que ce que dit celui qui, ayant je ne sçais quoi sous son manteau, fut rencontré par un autre qui lui demanda ce qu’il portoit. C’est bien en vain que tu le demandes, lui répondit-il ; car, si j’avois envie que tu le sçusses, je ne le couvrirois pas. Il faut payer de la même monnoie ceux qui auront trop de curiosité touchant ce livre, et je suis content qu’ils le tiennent pour un enfant trouvé qui s’est fait de soi-même ou qui n’a point de père pour en avoir trop. Les lecteurs croient-ils que je sois obligé de leur dire mon nom, puisque je ne sçaurois apprendre le leur et qu’une infinité de personnes, qui ne seront jamais de ma connoissance, verront mes ouvrages ? S’il y a quelqu’un à qui je sois obligé de tout découvrir, c’est à mes amis intimes, qui prendront mon travail en bonne part ; au lieu que les inconnus, qui le mépriseront, possible, me blâmeroient, s’ils sçavoient que je me fusse adonné à des bouffonneries, lorsque j’ai tant de choses sérieuses à dire.

Tandis que Francion disoit ces choses-là, Raymond se tenoit coi pour l’écouter. Il faut avouer, lui dit-il après, que vous avez des sentimens les plus nobles et les plus généreux du monde ; je ne me lasserois jamais de vous écouter. Vous venez de dire, par manière d’acquit, quantité de choses qui mériteroient bien d’être écrites, et il me semble que les lecteurs de vos livres seroient bien aises d’y trouver de semblables avertissemens. Vous m’obligez trop, dit Francion ; mais, sans raillerie, je vous assure qu’il est souvent très-né-

  1. Hernie se prononçait hergne, et tout le monde l’écrivait ainsi, les médecins exceptés.