Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas encore habillée. Il se mit donc un peu à attendre, se tenant dans la discrétion ; et pourtant il croyoit bien que l’on lui devoit permettre d’entrer, quoiqu’elle ne fût qu’à demi habillée, vu l’état où ils étoient. Enfin, comme il se fut donné quelque patience, il voulut s’avancer derechef ; mais l’on lui vint dire que, de ce jour-là, Nays ne vouloit voir personne. Je pense que vous ne me connoissez plus, ce dit-il, ou que vous feignez de ne me pas connoître ; quand Nays ne permettroit point que personne la vît, je croirai toujours en être excepté : dites-lui encore que c’est moi, et si elle ne prétend pas me tirer du rang des autres. Lorsqu’il eut dit cela, l’on alla aussitôt devers elle, et puis un estafier lui vint dire qu’elle avoit répondu que, pour ce jour-là, elle ne vouloit voir ni lui ni autre ; mais que, pour les jours suivans, peut-être permettroit-elle à quelqu’un de la voir, et non point à lui. Francion fut si fâché d’entendre cette réponse, qu’il eût battu cet estafier comme un malappris, n’eût été le respect qu’il portoit aux couleurs de sa maîtresse. Il se figuroit d’abord que cela venoit de l’invention de ce serviteur malicieux ; mais il songea enfin qu’il n’auroit garde d’avoir une telle témérité de lui porter cette parole, s’il n’en avoit un commandement exprès. S’imaginant donc que cela venoit de Nays, il ne pouvoit trouver la cause de ce changement ; il en demandoit des raisons à tous ceux qui étoient autour de lui, mais ils ne lui en pouvoient rendre. Quelquefois il se représente qu’il n’est pas croyable que Nays le méprise de cette sorte, et que tout ceci n’est qu’une feinte pour se donner du divertissement. Et là-dessus il raisonne de cette sorte : Si c’est une cassade que ma maîtresse me veut jouer, je donnerai encore plus de sujet de rire si je m’en retourne sans la voir, comme ayant beaucoup d’appréhension ; tellement qu’il vaut mieux user de violence et entrer hardiment jusques au lieu où elle est, malgré les avertissemens de ses serviteurs : car, quand même elle en seroit un petit fâchée, je sçais bien comme je la dois rapaiser ; et il est certain qu’ayant déjà fait l’accord de notre mariage j’ai droit maintenant d’user de cette privauté. Mais, s’il est vrai, au contraire, qu’elle me dédaigne et qu’elle se repente déjà de ce qui fut fait hier, est-il à propos que je passe plus outre ? N’augmentera-t-elle pas sa colère contre moi ? Ne vaut-il pas