Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des piliers, ou qu’ils vouloient entrer dans quelque chapelle, ils se trouvoient toujours tellement pressés qu’ils s’en étonnoient. Enfin, à l’entrée d’une chapelle obscure, Francion sentit que l’on lui fouilloit dans sa pochette ; il avoit toujours été subtil et diligent : il y porta promptement la main et pensa retenir celle d’un petit homme qui avoit fait le coup ; mais il se retira si bien, qu’il ne le put prendre, et même il s’écoula de la presse de telle sorte, que l’on ne le vit plus. Francion s’écria incontinent que c’étoit un coupeur de bourses et qu’il lui avoit pris son argent. Il commanda à ses laquais de le poursuivre ; mais ils n’en purent apprendre aucune nouvelle ; et puis Francion, ayant tâté dans sa pochette, trouva que son argent y étoit encore ; si bien qu’il dit que ce compagnon n’avoit pas eu le loisir d’achever son ouvrage et qu’il se devoit consoler ; au lieu que, si cela lui fût arrivé, il eût eu sujet de dire que toutes sortes de malheurs lui arrivoient ce jour-là. Après cela il entendit la messe avec Raymond, et, comme ils furent hors de l’église, ils eurent dessein de se promener un peu par la ville. Francion se voyoit importuné de tous les petits merciers qu’il rencontroit, lesquels lui demandoient s’il ne vouloit rien acheter de leur marchandise, ce qui commençoit à lui déplaire ; et même il trouvoit toujours en son chemin quelques-uns de ceux qu’il avoit remarqués à la messe, qui étoient des gens assez mal faits, ce qui ne lui présageoit rien de bon. Enfin il s’arrêta chez un parfumeur, où il lui prit envie d’acheter de la poudre de Cypre, et, comme le marché fut fait, il tira tout l’argent qu’il avoit dans sa pochette, car il ne portoit guère de bourse ; et il fut tout étonné qu’il y en avoit trois fois davantage qu’il n’y en avoit mis, et que même c’étoient des pièces de bien plus de valeur. Il fut fort étonné de ceci, et le montra à Raymond, lui disant qu’il croyoit que cet argent étoit crû dedans sa pochette, ou bien qu’il falloit avouer qu’il y avoit à Rome les plus agréables coupeurs de bourses du monde, et qu’au lieu d’ôter l’argent ils en donnoient davantage que l’on en avoit. Que si cela arrivoit toujours ainsi, il y auroit presse à se laisser tâter dans la pochette, et que les coupeurs de bourses de Paris n’étoient que des coquins, au prix de ceux de Rome, de n’user point d’une telle invention si profitable au peuple. Raymond lui repartit que cela ne seroit point mal à propos pour les coupeurs de bourses, de