Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/502

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avec de mauvais aloi et forger de fausses pièces, comme celles qu’il nous distribue maintenant. Quelques marchands, ayant depuis de bonnes pistoles à peser, furent fort étonnés qu’elles pesoient davantage que le poids de leur trébuchet ordinaire, et, comme ils eurent essayé d’un autre, ils virent que c’étoient celles qui venoient de cet homme-ci, qui ne pesoient pas tant : ils se communiquèrent l’un à l’autre ce qui leur étoit arrivé, et, se souvenant tous que leur trébuchet avoit passé par les mains de cet homme, ils s’avisèrent de sa tromperie, de sorte qu’ils résolurent de le faire punir s’ils le pouvoient attraper. Ils n’ont pas eu nouvelles de lui depuis, car il n’a fait que courir et changer de nom et d’habit ; mais, maintenant que nous l’avons attrapé, et que je reconnois manifestement que c’est lui, me souvenant de l’avoir vu en plusieurs lieux, je ne doute point qu’ils ne se joignent pour lui faire faire son procès : considérez s’il y eut jamais un homme plus fourbe, et si les François ne sont pas plus malicieux que nous ne nous imaginions. Je sçais bien d’autres tours qu’il a joués, que je dirai en temps et lieu.

Francion s’étonnoit de l’effronterie de cet homme, qui lui imputoit des choses où il n’avoit jamais songé : il faisoit des exclamations contre lui, et protestoit que jamais il n’avoit été à Gênes, et qu’il montreroit que sa vie étoit tout autre qu’il ne disoit ; qu’il étoit gentilhomme de fort bonne part ; qu’il avoit toujours demeuré dans la cour de France, près des princes et des plus grands seigneurs ; qu’il n’y avoit point de François à Rome qui ne le connût, et qui ne pût témoigner la bonne estime où il avoit toujours été. Il se peut faire, ajouta cet accusateur, que les François qui sont aujourd’hui dans Rome soutiendront cet homme-ci, soit pour conserver l’honneur de leur nation, soit parce qu’ils en ont la plupart reçu beaucoup de profit. L’on sçait bien qu’il y a force jeunes gens de bon lieu qui ne tirent pas tant d’argent de leur pays comme ils désirent ; tellement qu’ils ont leur refuge à ce trompeur, qui leur prête sa fausse monnoie, espérant de s’en faire donner un jour de très-bonne en payement, avec un bon intérêt, lorsqu’ils seront en France ; car il ne manque point d’ajouter l’usure à ses autres crimes. Quelquefois il fait aussi par plaisir des libéralités à ceux qu’il voit être les plus nécessiteux. Il en pria un jour à souper des meilleurs drôles